Où sont les lieux de débat sur l'IA?
De 2012 à 2018, la puissance de calcul utilisée pour entraîner les applications d’apprentissage automatique a été multipliée par 300'000. Elle a ainsi doublé tous les cent jours environ (Russell et Norvig, 2021). Bien que reposant sur des principes parfois très anciens, les intelligences artificielles sont arrivées à un moment où leur facilité d’utilisation et leurs résultats bluffants leur ont permis de passer en quelques mois de prototypes passionnant seulement quelques initiés à un large usage facile et intuitif.
Outre la question de l’utilisation exponentielle de ressources (énergie et terres rares) qu’implique matériellement cette explosion d’offres numériques, sommes-nous prêts pour des changements qui vont toucher notre société à un rythme aussi effréné? Avons-nous conscience que ces intelligences artificielles sont, bien plus que des intelligences, des modèles statistiques qui donnent des réponses plausibles plutôt que vérifiées? Percevons-nous les valeurs sociétales portées par chacune de ces solutions techniques? Identifions-nous les enjeux démocratiques?
Le philosophe protestant Jacques Ellul constatait en 1954 déjà, dans La Technique ou l’enjeu du siècle, l’autonomisation de la technique, devenue un véritable principe d’organisation de nos sociétés, sacralisée, sacrilège, et capable de se doter de sa propre rationalité. Depuis, le discours critique sur les innovations ne se fait guère entendre.
Pourtant, chacun•e devrait se préoccuper de ces enjeux, suivant en cela l’exemple du pape François, qui en janvier 2023 a lancé un appel à l’algoréthique (éthique des algorithmes). La multiplicité des voix sur ces enjeux serait plus que bienvenue.