Première femme trans à l’aumônerie de l’armée

Erin Lederrey. © Max Idje / Erin Lederrey. © Max Idje
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Erin Lederrey. © Max Idje
Erin Lederrey. © Max Idje

Première femme trans à l’aumônerie de l’armée

8 juin 2022
Erin Lederrey est aumônière de l’armée suisse. Elle est la première femme trans à ce poste. Cette informaticienne de métier est aussi férue de théologie et présidente de l’Antenne LGBTI Genève. Portrait d’une protestante cartésienne.

Elle débouche du coin de la rue au pas. Elle s’identifie d’un geste franc de la main, et d’un sourire à peine visible. Et pour cause: Erin Lederrey sort de chez le dentiste, la bouche encore sous anesthésie. Un soleil de plomb inonde la terrasse du Pain quotidien, qui jouxte la plaine de Plainpalais à Genève, où nous avons rendez-vous. Qu’à cela ne tienne, la jeune femme dégaine une paire de lunettes de soleil et commande une eau minérale. Cette enseigne, elle ne l’a pas choisie par hasard. C’était son Stamm, lorsqu’elle étudiait la théologie à l’Université de Genève. Un retour aux sources donc et un clin d’œil à la foi protestante devenue le socle de sa vie. Aujourd’hui, Erin Lederrey est ingénieure en informatique. Mais elle caresse toujours le rêve de travailler, un jour, en Église avec ou sans la robe du ministre.

En attendant, c’est sous les drapeaux et en uniforme qu’elle s’engage en tant qu’aumônière de l’armée suisse. Depuis trois ans, l’écoute est son arme. Sa mission: offrir une présence, des conseils et un accompagnement personnel sur des questions liées au sens de la vie, aux 800 militaires du Bataillon Logistique 21. Sur le terrain, on la repère à la croix scratchée à même le treillis. Pas de camouflage, Erin joue franc jeu au front et derrière les lignes. Incorporée en 2019, en tant qu’homme, elle exerce, depuis l’été dernier, ses missions au féminin. Erin Lederrey est la première femme trans aumônière de l’armée suisse. Avec un passage obligé par la case coming-out.

Coming-out sous les drapeaux

«L’annonce s’est faite naturellement auprès des chefs comme des troupes. Elle n’a provoqué aucune réaction négative ni malaise. Bien sûr, il y avait un risque, je l’ai pris comme un défi», explique-t-elle. «Lors de chaque présentation de l’aumônerie, je dis qui je suis, que je vis une transition et ça s’arrête là. Je ne viens pas faire un cours sur le sujet encore moins faire avancer la cause trans au sein de l’armée», affirme-t-elle, même si sa présence vaut tous les discours. L’accueil positif n’a rien d’étonnant: «Dès lors qu’une personne veut servir, qu’elle est physiquement et psychologiquement apte, l’armée fait au mieux pour qu’elle trouve sa place. L’identité de genre et l’orientation sexuelle n’ont rien à y faire», explique Noël Pedreira, remplaçant du chef de l’aumônerie de l’armée.

Sa démarche force l’admiration et le courage auprès de son entourage. Mais pour elle, «il s’agit simplement de prendre ma vie en main et de dire qui je suis», lâche-t-elle. Elle fait le parallèle avec son parcours de foi. Son premier coming-out. «Être chrétienne, c’est avoir le courage d’être, de s’affirmer en dépit de tous les obstacles qui peuvent se dresser, accepter d’être acceptée telle que je suis même si je peux me sentir inacceptable, en se basant sur une injonction: à Pâques, Jésus est ressuscité», illustre la trentenaire. Mais cette évidence n’en a pas toujours été une. Il a fallu huit ans à cette agnostique pour «basculer dans la foi». Le christianisme fait partie de la société dans laquelle elle vit, il offre des remèdes aux maux de celle-ci et à l’individualisme. Ainsi, dans sa quête de sens, Erin veut connaître et comprendre cette religion avant de tirer un trait dessus. Jacques Ellul, Paul Tillich, Dietrich Bonhoeffer, Erin a dévoré les théologiens protestants, interrogé et remis en question cette croyance. Peu à peu, elle est devenue sa vérité. Mais, ça bloque. Car la jeune femme est d’abord une scientifique, elle se retrouve tiraillée entre son besoin de rationalité et la foi que son cœur embrasse. La rencontre avec des scientifiques chrétiens la rassure. «Les mathématiques sont basées sur des axiomes qui fonctionnent empiriquement, mais dont la validité reste indémontrable. Ma foi en Jésus, je l’inscris comme un axiome dans ma vie», explique-t-elle. La fierté s’efface et la foi s’impose. Baptisée à l’âge de 25 ans, dix ans plus tard, ce printemps, elle confirme. En mettant des mots sur sa croyance, elle s’est libérée. Erin parle de sa transition, démarrée il y a un peu plus de deux ans, à l’identique. «Lorsque j’ai compris pourquoi je ne me sentais pas bien, pourquoi j’avais un problème avec mon corps, c’est devenu une évidence: je suis une femme trans.» Pour autant, elle ne renie pas ce qu’elle a été. «Je ne suis pas née femme. C’est aussi ce que j’ai été qui fait de moi Erin. Mais je parle de mon passé au féminin.» Aujourd’hui, elle sait qui elle est, où elle va, à coup de raisonnements plus que de spontanéité, il faut le dire.

Une foi en actes

Sa recette lui vaut de construire des bases aussi solides que rassurantes, lui permettant «de choisir la vie» dans les épreuves. C’est ce qu’elle veut transmettre aux autres. Une foi en actes qui s’exprime au sein de l’Antenne LGBTI Genève de l’Église protestante de Genève, dont elle est la présidente depuis le mois d’avril. «Erin est une personne solide. Elle bénéficie d’une assise théologique qu’elle souhaite mettre au service des autres. Elle est représentative d’une réalité autre que la mienne, mais complémentaire qui nous permet de travailler main dans la main», se réjouit Adrian Stiefel, chargé de ministère et responsable de l’Antenne LGBTI Genève.

À ce poste, elle souhaite développer des outils théologiques pour mettre en place un accompagnement des personnes LGBTI chrétiennes qui ont été blessées par le christianisme. Pas de militance donc. «Je ne me retrouve pas dans les discours qui réduisent l’identité trans sous le seul angle de la victimisation. De tels récits sont mobilisateurs à court terme, mais empêchent un enracinement qui permet d’être à l’aise avec soi-même ou dans la société. Cela induit une situation comparable aux fondamentalistes religieux qui se galvanisent entre eux, mais sont souvent démunis dans une société qui ne partage pas leurs codes», regrette-t-elle. Et d’ajouter: «Je suis une femme trans. Mais ce n’est pas toute mon identité. Je suis justifiée et acceptée devant Dieu et c’est suffisant. Je ne m’attends pas à ce que les gens comprennent, mais qu’ils le respectent.» Erin regarde l’heure, elle est en retard. À regret, nous mettons fin à l’entretien. Elle prend le chemin du fitness, malgré la chaleur qui ne s’est pas atténuée.

Bio en date

28 août 1986 Naissance à Genève

2011 Baptême par immersion dans le Léman par l’Église protestante de Genève (EPG)

2013-2021 Études de théologie à l’Université de Genève à temps partiel

2017-2018 Présidence du Conseil de Région Centre-Ville Rive Droite de l’EPG

2018 Entame une formation à l’aumônerie de l’armée suisse en tant qu’homme laïc

2019 Premier cours de répétition en tant qu’aumônier du Bataillon Logistique 21 de l’armée suisse auprès de 800 militaires environ

2019 Début de sa transition

2020 Annonce sa transition aux chefs de l’aumônerie de l’armée suisse

2021 Premier cours de répétition en tant que femme trans

2022 Changement d’identité à l’état civil

2022 Confirmation de son baptême à l’Église Épiscopale de Genève

2022 Présidence de l’Antenne LGBTI Genève, après presque deux ans d’engagement au sein du comité