Authadeïa, l’impatiente qui réfléchit
Sans cesse, elle donnait son avis sur tout, et bien qu’adolescente, elle voulait vivre une vie d’adulte.
Un jour qu’elle était au marché avec ses frères, elle entendit le récit d’un voyageur apeuré, qui décrivait une créature étrange et effrayante qui se serait installée dans la forêt toute proche. Quelques jours plus tard, on retrouva des carcasses de brebis et de vaches, ce qui confirma le récit du voyageur.
Aussitôt les chefs de la ville interdirent aux femmes et aux enfants de sortir, des milices furent formées pour partir à la recherche de cette bête.
Et qui retrouva-t-on à fureter dans toute la cité pour s’informer de ces expéditions? L’impertinente Authadeïa bien entendu.
De la première expédition de soldats envoyés contre la bête, nul ne revint. On dépêcha une seconde escouade, puis une troisième. Un seul de ceux-ci put revenir et ce qu’il décrivit glaça le sang des citadins.
La bête ressemblait à un grand serpent à quatre pattes, muni d’un bec et de cornes sur la tête, son haleine desséchait les végétaux, empoisonnait les eaux, et son regard pétrifiait toute créature vivante.
Ils furent nombreux à le prendre pour un fou, jusqu’à ce qu’il sorte d’un grand sac un lapin gris et froid comme la pierre… Un basilic, c’était un basilic qui menaçait la région, un des nombreux rejetons de la tristement célèbre gorgone Méduse…
Cette fois-ci, plus aucun soldat ne voulut se risquer à traverser la forêt. Notre jeune héroïne, fidèle à son caractère, s’exclama que, si le héros Persée avait pu vaincre Méduse, une fille pourrait bien en faire autant en supprimant le basilic, qui finalement ne devait être qu’un petit serpent au venin dangereux…
Les habitants de la cité ne savaient que dire. Certains se moquèrent, d’autres restaient silencieux et s’interrogeaient. Nul soldat pour sauver la ville, et quelqu’un de téméraire se proposait de régler la situation…
Authadeïa se mit donc en route, elle prit soin de prendre avec elle des vivres et de l’eau, un glaive, de quoi se bander les yeux et le visage afin d’échapper au regard et à l’haleine meurtriers de la créature.
Au bord d’un sentier, elle rencontra une vieille femme voûtée qui lui demanda où elle allait. La jeune fille lui expliqua toute la situation. Cette étrange vieille femme lui fit alors cadeau d’une pile d’assiettes de métal : ce n’était ni de l’or, ni de l’argent, mais elles étaient polies comme un miroir. Elle lui donna également une huile à l’odeur forte et désagréable.
Notre héroïne se serait bien passée de tels cadeaux. Elle n’était pas là pour s’encombrer de vaisselle et de parfums. Mais la vieille insista et lui prodigua ce conseil: «Ce qui réfléchit aveugle, et ce qui empeste dissimule…» Authadeïa, pour une fois, fit taire son impatience et comprit bien des choses en observant les dons de cette étrange vieille femme.
Arrivée en vue de la créature, elle s’enduisit les lèvres et le nez de l’huile, ce qui la protégea de l’haleine fétide du basilic. Elle dispersa autour de lui les assiettes, qui éveillèrent sa curiosité. Son regard pétrifiant se fixa sur ces nombreux miroirs. La bête devint immobile, puis grise comme la pierre.
Authadeïa, l’impertinente, avait vaincu la bête. La cité était libérée. A l’instar de Persée, la jeune fille fut fêtée et on l’appela désormais Eulaba, «celle qui réfléchit».
Certains actes que l’on pense symboliques s’avèrent en fait être redoutablement efficaces.