La montagne, une porte vers le ciel
Et si on prenait un peu de hauteur? Le 11 décembre, justement, c’était la Journée internationale de la montagne, décrétée en 2003 par les Nations Unies. L’objectif? Sensibiliser à la préservation d’un patrimoine naturel, culturel, mais aussi spirituel. Et pour cause: plus qu’un tas de pierres inertes, la montagne occupe une place de choix dans le paysage religieux, parfois même traitée sur un pied d’égalité avec les humains par certaines populations, voire même dotée d’une conscience.
«En islam, les montagnes sont liées au pacte originel avec Dieu. Il propose une alliance au Ciel et à la Terre qui le refusent, puis aux montagnes qui se désistent: témoigner de l’unicité avec Dieu est une charge trop lourde. L’humanité, elle, l’accepte naïvement. Et lorsque celle-ci faillit, les montagnes en rient», raconte Jean-Claude Basset, ancien chargé de cours sur l’islam à l’Université de Lausanne.
Une rencontre à la hauteur
Mais dans cette religion abrahamique, la montagne symbolise surtout le lieu de la rencontre entre l’humain et Dieu. Une vision partagée par les autres religions du Livre que sont le judaïsme et le christianisme. «Lointaine, à l’accès difficile, la montagne apparaît comme lieu privilégié de la théophanie (révélation divine, ndlr) dans la Bible hébraïque», affirme Jean-Daniel Macchi, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de théologie de l’Université de Genève. Et les exemples sont nombreux: Noé conclut une alliance avec Dieu sur le mont Ararat, Moïse reçoit les Tables de la Loi sur le Sinaï, Abraham gravit le mont Moriah pour y sacrifier son fils Isaac. La tradition identifie ce denier lieu avec le mont où fut érigé l’ancien Temple de Jérusalem et où se trouvent aujourd’hui le Dôme du Rocher, à proximité de la mosquée Al-Aqsa associée au voyage nocturne de Mahomet.
Et ça ne s’arrête pas là. Le Nouveau Testament est lui aussi truffé d’épisodes en altitude: le sermon sur la montagne affilié au mont des Béatitudes, le mont Tabor, connu de l’Ancien Testament est associé à la transfiguration de Jésus, sans oublier le mont des Oliviers où est rapportée l’ascension du Christ.
Maison des dieux
Les traditions religieuses asiatiques ne sont pas en reste. «Les montagnes sacrées sont pensées en Chine comme des puits du Ciel, permettant l’ascension vers des mondes célestes, mais aussi la descente dans les Geôles souterraines de la terre, les Enfers», explique Adeline Herrou, ethnologue et sinologue, dans «Les montagnes et le sacré», le calendrier des religions 2021-2022 des Éditions Agora. Les plus puissantes d’entre elles sont assimilées par les taoïstes à des «grottes célestes et terres de bonheur», lieux par excellence de la communication avec les divinités. «Pour les taoïstes, la montagne est le lieu d’habitation de prédilection des Immortels, les êtres véritables qui sont parvenus à trouver la Voie», poursuit la spécialiste. Ces êtres d’apparence anthropomorphe sont vénérés comme des dieux.
Dans cette quête de proximité avec le divin, certaines traditions religieuses n’hésitent pas à se greffer directement sur les pentes des montagnes. En Chine, les temples ponctuent l’ascension vers les sommets. Les pèlerins peuvent y brûler de l’encens et y trouver un peu de repos. En Égypte, sur les flancs du Sinaï – appelé aussi la montagne de Moïse où convergent les trois traditions juive, chrétienne et islamique – des ermitages sortent de terre dès le IIIe siècle. Le monastère orthodoxe Sainte-Catherine y est toujours en activité, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2002. À son sommet, on y trouve une petite mosquée.
Selon certaines traditions, l’humain est de fait intimement lié à son environnement rocheux. «Dans la cosmogonie des populations andines, la montagne fait partie de la genèse: elle est considérée comme le lieu d’origine de certains groupes et comme le lieu de résidence de certaines divinités. Elles restent habitées par ces entités dont la protection implique une contrepartie sous la forme d’offrandes de la part des humains», ajoute Sara Sánchez del Olmo, conservatrice adjointe des collections américaines au Musée d’ethnologie de Neuchâtel. «La montagne est une trace du passage géographique des ancêtres, tel le Serpent arc-en-ciel, créature mythique chez les Aborigènes. Descendus du ciel ou sortis de terre, ils ont façonné l’environnement par leurs déplacements», explique Roberta Colombo Dougoud, conservatrice du département Océanie du Musée d’ethnographie de Genève. Pour de nombreuses populations autochtones du continent océanien, «l’environnement n’est pas un élément donné. En tant que descendants, les humains ont des droits, mais aussi une responsabilité: ils doivent en prendre soin», poursuit-elle. Un rôle pris au sérieux. En 2019, les Aborigènes ont obtenu l’interdiction définitive de l’ascension du mont Uluru, qui était devenu une attraction touristique.
Les chemins du rite
En montagne, la spiritualité se vit à coup de pèlerinages et d’offrandes. Exemples.
Qui n’a jamais croisé une croix lors d’une virée en montagne? Le pasteur genevois Etienne Jeanneret en a dénombré 58 en arpentant les cimes helvétiques. «C’est en 1819, sur la pointe Zumstein, un des sommets du mont Rose en Valais, que la première croix a été posée. Cette pratique coïncide avec les premières ascensions. Mais c’est surtout au XXe siècle, en particulier dans les dix années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale que le plus de croix ont été posées, notamment pour rendre mémoire aux morts», confiait ce passionné en 2019.
Mais la palette des pratiques reste large, d’un accès interdit au mont Urulu dans l’outback australien à la pleine jouissance des ressources qu’offre la montagne en Bolivie. «Pour les populations andines, il est essentiel d’entretenir de bonnes relations avec les êtres qui peuplent la montagne. Ceci pour assurer une bonne récolte et se mettre à l’abri des sécheresses. Il s’agit d’une relation de réciprocité», illustre Sara Sánchez del Olmo, conservatrice adjointe des collections américaines au Musée d’ethnographie de Neuchâtel. En effet, El Tio, «l’oncle», est une entité choyée par les mineurs boliviens, aujourd’hui encore. Car cet être du monde souterrain, considéré comme le véritable «patron» des profondeurs, peut être bon comme mauvais. Représenté sous les traits d’un personnage anthropo-zoomorphe, parfois avec un visage aux traits «occidentaux», sa statue est placée à l’entrée des mines. «Alcool, cigare, les offrandes des mineurs servent la protection d’El Tio contre les accidents et en vue de la poursuite de l’exploitation», continue la conservatrice.
La montagne est aussi un but de pèlerinage, c’est notamment le cas dans le monde bouddhique. Culminant à 5700 mètres d’altitude, le mont Kailash, site sacré du Tibet accueille de nombreux pèlerins bouddhistes, mais aussi hindous et jaïns. Ceux-ci en font le tour, une boucle d’une cinquantaine de kilomètres. Pour les Tibétains, réaliser ce pèlerinage 108 fois permettrait d’atteindre l’illumination.
Sacrés sommets
Le mont Fuji
Classé au patrimoine mondial de l’Unesco, le mont Fuji est le plus élevé du Japon (3776m). La dernière éruption de ce volcan endormi remonte à 1707. Chaque année, 300'000 personnes partent à l’assaut de son sommet. Sur les sentiers, des portiques symbolisent le passage su profane au sacré.
Ol Doinyo Lengaï
Au nord-est de la Tanzanie, le volcan Ol Doinyo Lengaï est surnommé la «montagne de Dieu» par les Maasais. Pour cette tribu, le cratère abrite Enkai, leur dieu unique. Cette montagne sacrée et aussi un symbole de la fertilité, les pèlerins viennent y chercher protection.
Le pic d’Adam
Sur l’île du Sri Lanka, le pic d’Adam (2243m) est un lieu saint à cause d’une cavité rocheuse située au sommet, une empreinte de pas que les musulmans attribuent à Adam, les bouddhistes au Bouddha et les hindous à Shiva.
Mont Uluru
Le mont Uluru ou Ayers Rock est un dôme de grès haut de 348 mètres, en Australie, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Il est devenu une attraction touristique dès les années 1940. Les Aborigènes ont obtenu en 2019 l’interdiction définitive de l’ascension de ce site sacré.
Mont Moriah
Le mont Moriah, à Jérusalem, a abrité la capitale du Roi David et le premier temple de son fils Salomon, dans lequel est placée l’arche de l’alliance contenant les Tables de la Loi reçues par Moïse. Détruit en 586 av. J.-C. par les Babyloniens, puis reconstruit plus modeste, et finalement rasé par les Romains en 70.
Mont Arafat
Étape obligée du grand pèlerinage à La Mecque, le mont Arafat ou mont de la Miséricorde, haut de 70 mètres, se trouve à une vingtaine de kilomètres de la ville sainte. De blanc vêtu, musulmans et musulmanes y font halte le deuxième jour du pèlerinage pour se recueillir et prier jusqu’au coucher du soleil.
Le mont Carmel
Dans la Bible, le prophète Élie aurait séjourné dans les grottes du mont Carmel. C’est aussi sur cette montagne côtière d’Israël, que s’est établi le centre mondial baha’i, notamment composé du mausolée du Bab, précurseur de la religion baha’ie.
Mont Athos
La République monastique du mont Athos est une région autonome grecque située sur la mer Égée. La péninsule compte une vingtaine de monastères orthodoxes pour un territoire de 50 km de long et 12 km de large. Chaque année, des milliers de pèlerins s’y rendent, les femmes y sont interdites.
Machu Picchu
L’ancienne cité de pierre du Machu Picchu, dans les Andes du Pérou, s’élève à plus de 2400 mètres. Vestige de l’Empire inca, le site est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1983. Certaines parties du Temple du Soleil, dédié à la divinité solaire, sont interdites d’accès.
Le Grand-Saint-Bernard
À cheval entre les Alpes suisses et italiennes, le col du Grand-Saint-Bernard doit son nom à l’archidiacre d’Aoste Bernard de Menthon qui y fonde un hospice en 1050 pour venir en aide aux voyageurs dans la traversée des Alpes. Aujourd’hui encore, la communauté y vit selon la règle de Saint Augustin.