Marie Dentière, visage féminin de la Réforme

Le nom de Marie Dentière, gravé sur une stèle devant le Mur des Réformateurs à Genève / ©MHM55, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons
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Le nom de Marie Dentière, gravé sur une stèle devant le Mur des Réformateurs à Genève
©MHM55, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons

Marie Dentière, visage féminin de la Réforme

Bravade
Femme libre et passionnée, Marie Denirère participe au basculement de Genève dans la Réforme et refuse le rôle subalterne dans lequel l’on voulait l’enfermer.
Avons-nous deux Evangiles, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes? L’un pour les sages et l’autre pour les fous? Ne sommes-nous pas un en notre Seigneur?
Marie Dentière, Epître très utile (1539)

Ce n’est qu’un bloc de pierre, placé à droite devant le Mur des Réformateurs. Mais tout de même, depuis 2002, son nom y figure. Et c’est le seul nom de femme gravé sur ce monument genevois aux héros de la Réforme, dans le parc des Bastions. Cette femme c’est Marie Dentière. On peut la considérer comme la première théologienne réformée dans la cité de Calvin.

Car la Réforme n’est pas qu’une affaire d’hommes! Plusieurs femmes y ont aussi joué un rôle éminent. Et non seulement comme compagnes des protagonistes principaux, telles Catherine de Bore, l’épouse de Luther, ou Idelette, celle de Calvin… C’est vrai, Marie Dentière avait elle aussi épousé un pasteur de la première génération protestante, Simon Robert, un ancien curé qu’elle a suivi dans son ministère en Suisse romande (Bex, Aigle). Mais sa culture et sa vivacité d’esprit la conduisent à se distinguer dans le combat pour les idées réformatrices.

Marie Dentière est née en 1490 dans la petite noblesse des Flandres. A Tournai, elle devient prieure d’un couvent qu’elle finit par quitter en 1524, lorsqu’elle se convertit à la foi protestante. Elle passe par Strasbourg avant de rejoindre le Pays de Vaud. Et, à la mort de son mari, elle convole en de nouvelles noces en 1535 avec un autre pasteur, Antoine Froment. Avec lui, elle finit par s’établir à Genève.

Chronique de la Réforme

Là, elle se fait la chroniqueuse des événements en cours dans la ville. Le titre de son ouvrage, publié anonymement, est significatif: La guerre et délivrance de la ville de Genève. Elle y raconte sur le vif le passage de Genève à la Réforme, en donnant des événements une lecture théologique rivalisant avec celle des réformateurs de l’époque.

Une lecture, justement, qui ne plaît guère au réformateur Farel, puis à Calvin. Et le scandale empire avec l’écrit suivant de Marie Dentière, dans lequel certains discernent le premier texte féministe de la Réforme. Cette Epître très utile est une longue lettre adressée à Marguerite de Navarre (dont Marie était la confidente), la femme du roi François Ier. L’auteure y revendique le droit pour les femmes de s’emparer de sujets théologiques et d’intervenir dans la vie de l’Eglise. Car, souligne-t-elle, elles sont aussi capables que les hommes de lire et d’interpréter les Ecritures! L’ouvrage est confisqué, son imprimeur emprisonné, et l’opuscule tombera dans l’oubli durant plusieurs siècles.

Marie Dentière meurt en 1561, après avoir ouvert, avec son mari, un petit pensionnat pour jeunes filles dans leur maison. Au programme: un enseignement très complet, incluant notamment l’apprentissage du grec et de l’hébreu…

Robes masculines

En 1546, à Genève, Marie Dentière critique la robe longue de Calvin. Elle l’associe à celles des faux prophètes annoncés dans le Nouveau Testament… «qui viennent à vous en habits de brebis, mais qui au-dedans sont des loups ravisseurs» (Matthieu 7,15). Une manière pour elle de prolonger le combat en faveur de la Réforme, tout en s’en prenant aux autorités genevoises du moment, qui reléguaient les femmes dans l’étroitesse de rôles passifs.