Roland Campiche: «La vie politique est imprégnée de religieux»

Roland Campiche / © Sophie Brasey
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Roland Campiche
© Sophie Brasey

Roland Campiche: «La vie politique est imprégnée de religieux»

Indignation
Retraité, le pasteur devenu sociologue pour mieux comprendre le religieux dans son contexte social continue à alerter Eglises et citoyens. Et à se battre pour les seniors.

En ouvrant sa porte, il engage une conversation vive et teintée d’inquiétude, voire d’indignation, à propos des événements du monde et de la politique suisse. Le sage observateur de la société est aussi un citoyen engagé, ultra-sensible à l’actualité et au monde qui l’entoure. Et ça remonte à loin.

Enfant, il a passé la guerre à La Tour-de-Peilz avec sa mère hollandaise, qui vivait dans l’angoisse non seulement pour sa famille et sa patrie occupée, mais aussi pour son mari. Délégué de Nestlé, celui-ci voyageait en Hollande, Tchécoslovaquie, Allemagne. Roland Campiche a gardé des objets offerts à son père, après la guerre, par des Tchèques reconnaissants de son aide à leur résistance passive aux nazis. En 1946, il accompagne sa mère en Hollande et observe les terrifiants dégâts de la guerre.

Souvenirs indélébiles! Naissance du besoin de comprendre ce qui se passe dans la société, renforcé par la découverte, fondatrice, du scoutisme; il participe chaque année au rappel de la promesse des scouts veveysans du Vieux-Mazel. Autre rencontre décisive à 15 ans, celle du pasteur Tullio Vinay et de ses camps oecuméniques au Centre international Agapè (Piémont). Ainsi se construit la démarche qui fait de lui le fondateur en Suisse romande de la sociologie de la religion.

L’éthique sociale, un pilier

A ses yeux, la théologie ne suffit pas à l’Eglise pour qu’elle remplisse sa mission: elle a besoin des outils de la sociologie. Karl Barth, qu’il fréquente à Bâle, a beau le traiter d’antéchrist, Campiche persiste. S’étant frotté, pasteur, aux réalités du quart-monde dans la paroisse lausannoise de Sévelin-Malley («J’y ai tout vu!»), il passe un an à l’Université de Chicago pour préparer son doctorat en sociologie. Expérience décisive, éducation politique – notamment lors de la marche de Selma, début dans l’Alabama de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains – et rencontre de Paul Tillich, qui l’encourage dans son approche sociologique du religieux.

Ecarté par les Vaudois opposés à cette démarche, il travaille à Genève avant de rejoindre son ami Hans Ruh, pionnier de l’éthique sociale, rencontré à l’école d’aumônerie de l’armée. Avec l’économiste Hans-Balz Peter est fondé en 1971 l’Institut d’éthique sociale de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, Campiche dirige son bureau romand.

C’est parti pour trente ans et la publication en allemand et en français de 57 cahiers thématiques. Sans compter ses nombreux articles scientifiques ni ses ouvrages personnels, tels Croire en Suisse(s), analyse de la première enquête nationale des comportements des Suisses·ses en matière religieuse, Les deux visages de la religion ou La religion visible – Pratiques et croyances en Suisse.

Que l’Eglise sache de quoi elle parle lorsqu’elle s’occupe de politique.

Les neurones des seniors

Il faudrait un livre pour relater ces années héroïques à l’UNIL de 1971, où il crée le cours de sociologie de la religion, à 2001. La fondation, en 1999, de l’Observatoire des religions en Suisse (ORS). Le sauvetage de la Conférence internationale de sociologie des religions en 1983 grâce au soutien du recteur Delessert. Les rencontres avec des chercheurs, en Suisse romande et dans les nombreuses universités où il est invité à enseigner: Mexique, France, Québec, etc. Ses interventions dans les médias, ses réflexions et conclusions («La vie politique est imprégnée de religieux.»). Ses engagements hors du champ de ses recherches, la présidence du Centre social protestant, celle de l’Université du 3e âge Connaissance 3 et «tant d’autres, trop nombreuses pour les énumérer». Un de ses grands combats de retraité, la stimulation des neurones des seniors, «seule médication avérée contre Alzheimer»: il publie en 2018 A la retraite, les cahiers au feu? (Ed. Antipodes).

Oui, il faudrait un livre pour commencer à faire le tour des vies et des oeuvres de Roland Campiche. A 87 ans, il s’apprête à l’écrire, «pour remercier», dit-il en songeant à toutes les personnes qui l’ont aidé et qu’il évoque à tout instant avec reconnaissance. Il y sera question, entre beaucoup d’autres, du père Jean-Marc Bonvin, en compagnie duquel l’aumônier Campiche célébra des services oecuméniques avec les soldats des cours alpins de la Division de montagne 10 – expériences spirituelles dont l’évocation le fait vibrer comme les souvenirs d’Agapè. Car la connaissance sociologique n’est qu’un outil au service de la foi.

Bio express

1937 Naissance à La Tour-de-Peilz.
1961 Naissance de Laurent, décédé en Afrique en 2017, suivie de celles en 1962 de Philippe, informaticien, et en 1969 de Nicolas, dans la banque.
1967 Création du mouvement Vers une Eglise pour les autres.
1971 Création de l’Institut d’éthique sociale de la FEPS.
1999 Fondation de l’Observatoire des religions en Suisse.
2002 Présidence de Connaissance 3 jusqu’en 2009.
2012 Décès de Marianne, sa seconde épouse. Il est épaulé depuis lors par sa compagne Anne-Marie Schafer.

La compétence par l’interdisciplinarité

Tout le récit de sa vie par Roland Campiche est un plaidoyer pour l’interdisciplinarité, recherche collaborative indispensable, basée sur le respect mutuel; sans tentative de prise de pouvoir! Comment l’Eglise pourrait-elle fonctionner sans regard scientifique sur l’évolution de la société? Tous ses aspects ont des effets sur la relation au croire et à la pratique religieuse : la théologie seule ne suffit pas. Aucun pasteur ne devrait être lâché sur le terrain sans de solides bases sociologiques.

Et le rapport à la politique? L’Eglise est «dans la pâte du monde», elle a le devoir d’interpeller et de prendre position, à une condition: «La règle fondamentale, c’est que l’Eglise sache de quoi elle parle lorsqu’elle s’occupe de politique.»