L’archevêque du Cap, successeur de Desmond Tutu, le rappelle: misère et démocratie ne font pas bon ménage

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L’archevêque du Cap, successeur de Desmond Tutu, le rappelle: misère et démocratie ne font pas bon ménage

21 juin 2001
Il n’y aura pas de paix durable en Afrique du Sud sans une lutte contre la pauvreté
Car les victimes de l’apartheid ne reçoivent aucune réparation, alors que leurs bourreaux vivent toujours dans l’opulence. Invité à Montmirail lors de l’assemblée des délégués de la Fédération des églises protestantes de Suisse (FEPS), Mgr W.H. Njongonkulu Ndungane, archevêque anglican du Cap, a lancé un vibrant appel au soutien du processus démocratique en Afrique du Sud. Solidarité qui passe, a-t-il rappelé, par l'annulation de la dette de l'Apartheid. « C’est un pari que le monde doit faire, celui de placer l’humanité avant le profit. » Extraits. Etrange contraste entre les propos du prélat sud-africain et les préoccupations de la FEPS. Intéressant, aussi, parce qu’il rappelle à chacun les réalités planétaires. En ce mardi matin 19 juin, Mgr Ndungane, archevêque du Cap (évêché qui s’étend sur les pays d’Afrique australe), prend la parole au beau milieu de l’assemblée des délégués de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). En un instant, on ne parle plus bilans consolidés ou écho des paroisses, mais pauvreté, sida, racisme.

Le successeur du prix Nobel de la paix Desmond Tutu ne le cache pas: en Afrique du Sud, « des siècles de discrimination économique et sociale ne peuvent être balayés un une nuit. Nous sommes une nation qui change, mais cela prend du temps. » Oui, il y a eu des victoires, des succès dans de nombreux domaines comme l'éducation ou le logement, l'émergence d'une middle-class de couleur, la ratification d'une Convention des Droits de l'homme parmi les plus progressistes de la planète. Pourtant, sortir de décennies d'apartheid constitue un combat semé d'embûches. Notamment parce que « des décennies de racisme ont profondément marqué les rouages de notre société, et que nous continuons à être ravagés par la violence et la pauvreté, et par les inégalités économiques mondiales. »

§« Aidez-nous à supprimer la dette »Autant dire que l'archevêque du Cap avoue parler dans l'urgence des menaces qui pèsent sur le processus entamé lors des premières élections libres, en 1994. Et l'un des principaux freins de cette évolution est naturellement économique, cet « héritage de l'odieuse dette » de l'apartheid. Membre du comité de la campagne mondiale de désendetement « Jubilé 2000 », Mgr Ndungane passe en effet pour l'un des plus fervents avocats de la suppression de la dette sud-africaine. « Son remboursement constitue le second montant de notre budget national. Il coûte davantage que l'argent alloué à la santé », rappelle-t-il alors que les effrayants chiffres de propagation de la pandémie du sida dans son pays, le plus touché du continent noir après le Botswana, sont encore dans toutes les mémoires.

« Je vous appelle à joindre vos voix à la clameur qui réclame l'annulation de la dette et une réparation pour ses victimes. La vision du Jubilé est une vision d'amour et de grâce, de compassion et d'égalité, à partir de l'émerveillement que tout être humain est créé à l'égal de Dieu. C'est une vision qui libère le pauvre de sa misère. Mais c'est aussi une occasion pour les puissants de donner le témoignage d’un usage équitable des richesses." Prenant l'exemple la réalité du Zimbabwe, l'archevêque du Cap le rappelle: misère et démocratie ne font pas bon ménage. "Nous ne demandons pas la charité, mais la justice. Nous cherchons une nouvelle approche globale que vous pouvez encourager, lance-t-il aux délégués des Eglises protestantes. Une approche qui sorte de ce système économique inique qui plonge des millions de gens dans la pauvreté et le désespoir."

Ainsi, explique le prélat, le soutien des Eglises mondiale à l’Afrique du Sud demeure aussi essentiel aujourd’hui qu’il fut bénéfique par le passé. « La plus grande part de notre miracle tient dans la décision de notre nation d’opter pour une justice reconstructrice au lieu d’une justice vengeresse. Ce principe directeur offrit un important rayon d’espoir au reste du monde. Mais il se trouve aujourd’hui menacé. » Et Mgr Ndungane d’évoquer la fameuses commission « Vérité et Conciliation » chargée d’entendre les criminels de l’ancien régime sous la présidence de Desmond Tutu.

§Victimes bafouéesEn échange d’une amnistie, ceux qui commirent des crimes sous l’apartheid doivent mettre en lumière les événements de ces années sombres. « Mais aujourd’hui, la demande d’une justice punitive augmente, mettant en péril la paix. Parce que les tortionnaires d’hier possèdent toujours leurs belles maisons, leurs voitures et leurs terres. Alors qu’il n’y a pas eu de réelle réparation pour les victimes. Qui se sentent maintenant désillusionnées et écœurées. »

Pour l’archevêque du Cap, il ne s’agit pas d’appeler à la vengeance : le pardon reste la seule voix d’une nécessaire réconciliation. Engagement qui prend toute sa valeur lorsque l’on sait qu’il fut lui-même détenu politique, incarcéré durant 20 mois dans la tristement célèbre prison de Robben Island, en face du Cap. « Nous demandons l’effacement de la dette et une compensation pour le peuple sud-africain, équivalente aux profits engrangés par les compagnies et banques étrangères qui investirent au pays de l’Apartheid durant 45 ans. C’est un pari. Celui de placer l’humanité avant le profit. »