Lutte contre la pédophilie: mais que fait la Confédération?

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Lutte contre la pédophilie: mais que fait la Confédération?

11 juillet 2001
Le 4 septembre prochain, dans plusieurs villes romandes, des mères de famille organiseront une marche blanche pour protester contre l'inefficacité des autorités en matière de lutte contre la pédophilie sur Internet
Un sujet qui préoccupe aussi plusieurs députés, bien décidés à faire sortir Berne de son attentisme. En effet, alors que la cybercriminalité réclame des moyens nationaux, voire internationaux, le Conseil fédéral n'a toujours pas recréé une unité de collaboration entre les différents cantons, supprimée en 1999.

Elus et citoyens en ont assez de l’inefficacité des autorités fédérales en matière de lutte contre la pédophilie sur Internet. Une marche blanche organisée par des mères de famille aura lieu le 4 septembre dans plusieurs villes romandes, non seulement pour protester contre les crimes pédophiles, mais aussi pour inciter les autorités à prendre des mesures efficaces pour réprimer ce type de délits.

Les élus ne sont pas en reste puisqu’au cours des dernières années, diverses interpellations et motions parlementaires, ainsi qu’une initiative déposée par le canton de Genève ont été adressées au Conseil fédéral, demandant que la lutte contre la pédophilie s’organise au niveau national. Tandis que les autorités fédérales continuent de renvoyer la balle aux cantons et que les structures fédérales de coordination et d’analyse promises par le Département fédéral de justice et police tardent à se mettre en place, les protestations se multiplient.

«On donne des milliards à l’armée et on a supprimé la seule cellule de deux policiers chargée de surveiller et d’enquêter sur les sites pédophiles qu’on voit proliférer sur Internet» s’indigne Christiane Bussat, mère de deux enfants et présidente du Comité qui organise la marche blanche1 qui se tiendra à Lausanne et dans d’autres villes romandes en septembre prochain.

C’est en 1999 que le Conseil fédéral décidait de mettre un terme au projet pilote que constituait la cellule d’«Internet Monitoring» chargée d’effectuer de la surveillance sur Internet et de coordonner, dans la mesure de ses possibilités, les actions menées par les services de police cantonaux contre des sites Internet pédophiles. Depuis, sachant qu’Internet est l'un des instruments de prédilection utilisés par les réseaux pédophiles pour s'afficher, se développer et répandre leur matériel pornographique, de nombreux élus et citoyens se sont insurgés et ont réclamé son rétablissement.

§Situations aberrantesLa répression des délits à caractère pédophile incombe aux cantons, mais pour qu’elle se révèle efficace, notamment sur Internet, elle implique des moyens humains et technologiques importants et devrait pouvoir se déployer au moins au niveau national avant de s’étendre au plan international. Depuis le démantèlement de la cellule "Internet Monitoring", les cantons sont contraints à travailler "chacun pour soi" qui hypothèque lourdement le succès de nombreuses enquêtes. "A l'heure actuelle, plusieurs procédures contre un même site pédophile peuvent être ouvertes dans plusieurs cantons, dans une parfaite étanchéité, sans que l'on prenne conscience que le travail est fait à double ou à triple", relève Me Christian Schmidt, vice-président de l'association "Action innocence Genève"2, active dans la lutte contre la pédophilie sur Internet. «Si une action est engagée contre un site qui est hébergé dans un autre canton, les procédures sont compliquées et prennent un temps fou. Imaginez ce que cela donne quand le site est à l’étranger», conclut-il. Une situation aberrante que Pierre Tilmanns, conseiller national socialiste et auteur d'une interpellation au Conseil fédéral sur la répression de la pédophilie, qualifie de "perte d'énergie et d'argent considérable".

§Il faut changer la loi Dans la réponse qu’il adresse le 17 janvier 2001 à l’interpellation de la conseillère nationale socialiste Regine Aeppli Wartmann sur le même thème, le Conseil fédéral admet la nécessité de rétablir une cellule d’Internet Monitoring et d’assurer une coordination des enquêtes et un échange des informations au niveau national, tâches qui seront confiées au Service d’analyse et de prévention (SAP) et à la Division coordination de la nouvelle Police judiciaire fédérale. A l’heure actuelle, on constate qu’aucune structure n’a encore pris en charge la coordination des procédures ouvertes dans les affaires de pédophilie et la cellule Internet Monitoring n’a toujours pas repris ses activités. Au Département fédéral de Justice et Police, on répète qu’il y a une volonté réelle d’agir contre la pédophilie de la part des autorités, mais on ne se risque pas à avancer des dates sur la mise en route des structures promises.

Dans sa réponse à l’interpellation Aeppli Wartmann, le gouvernement déclare également que grâce aux récentes modifications législatives permettant à la Confédération d’entreprendre des poursuites pénales pour des infractions liées au crime organisé4, il lui sera possible d’intervenir contre certains réseaux pédophiles reconnus comme des organisations criminelles organisées. Il réaffirme cependant que la répression des crimes et abus perpétrés contre les enfants reste de la compétence des cantons. Pour Pierre Tillmans, ces mesures ne sont pas suffisantes: «Il faut cesser de répéter que seuls les cantons sont compétents, car ils ne peuvent pas faire un travail de répression digne de ce nom. Il faut changer la loi, afin que la Confédération puisse véritablement prendre les choses en main, sans être entravée par l’obstacle que constitue chaque frontière cantonale.» Une opinion qui fait écho à celle qu’exprime sa consœur Régine Aeppli Wartmann dans une nouvelle motion déposée en mars dernier, visant à améliorer la lutte contre la cybercriminalité. Une énième motion qui incitera peut-être les autorités fédérales à jouer un rôle moins virtuel dans la lutte contre la cyberpédophilie.

§1 Concernant la marche blanche du 4 septembre, voir site: www.lafamily.ch/marcheblanche/§2 Action innocence Genève, 1 place du Port, 1204 Genève, tél. 022/ 735 50 02, fax 022/ 735 51 02, site: www.actioninnocence.org§4 Article 340bis du Code pénal suisse.