Terrorisme islamiste: des Suisses musulmans s’expriment

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Terrorisme islamiste: des Suisses musulmans s’expriment

5 octobre 2001
Nés en Suisse, ils ont choisi de se soumettre aux vérités du Coran
Un changement de vie et de mode de pensée qui les rend particulièrement sensible à la crispation actuelle de l’Occident face à une partie de l’islam. Ne se sentant pas rejetés par leurs compatriotes, ils avouent leur crainte des amalgames en même temps que leur rejet des idées extrémistes. Et insistent sur l’importance de l’enseignement pour bien intégrer le message d’une religion qui leur a donné, disent-ils, réponses et sérénité.

Ils sont Suisses et convertis à l’islam. Récente ou ancienne, leur profession de foi a changé leur vie : plus de viande qui ne soit tuée selon le rite halal, plus d’alcool, voile pour les femmes qui ne serrent plus les mains d’hommes inconnus et prière cinq fois par jour ainsi que jeûne durant le mois du ramadan pour tout le monde. L’islam, littéralement, « soumission à Dieu » leur offre désormais bien plus qu’une religion : une loi, une morale, une culture.

Cette nouvelle manière de concevoir l’existence toute entière n’est pas toujours facile à concilier avec les exigences et les habitudes locales. L’acceptation des familles ou des proches ne va pas toujours de soi. Dans quelle mesure ce cheminement a-t-il été bouleversé par les attentats anti-américains ? Comment vivent-ils les tueries terroristes commises au nom de la foi qu’ils ont embrassée ? « Mal, bien sûr. Ca a été un grand choc », reconnaît Jérôme Michel, président de l’amicale Swiss-Muslim 1421. Fondée l’année dernière, elle accueille déjà une centaine de membres issus surtout du centre islamique de Lausanne, mais également de Neuchâtel ou de Genève.

§Les musulmans, premiers adversaires des fondamentalistes « Il faut juger les gens à partir de la religion, insiste Melissa Favre Hannouti. Pas le contraire. La majorité des Musulmans condamnent comme nous le faisons l’extrémisme sous toutes ses formes. » Convertie avant d’avoir rencontré son mari musulman, « contrairement aux idées reçues », sourit-elle, Melissa porte le voile et a appris l’arabe. « Je ne sens pas vraiment d’hostilité autour de moi depuis ces événements. Je crois qu’une majorité comprend qu’ils sont le fait de petits groupes qui ont complètement dérivé du message originel du Coran. » A ses côtés, Carol Ryser, présidente de l’association des Suissesses musulmanes, renchérit : « Au lendemain d’une émission consacrée à l’islam sur la TSR, j’ai été interpellée dans la rue. On m’a dit que c’était bien d’assumer mes convictions. »

L’association s’est fendue d’un communiqué en ce sens au lendemain de la tragédie du 11 septembre. « Nous rappelions que comme tous les sunnites, nous faisons front face au terrorisme. Et que nous avions déjà dénoncé les actes commis à Louxor comme la violence quotidienne en Algérie. Ces assassins ne représentent que quelques pour cents de l’islam. Voilà longtemps que nous mettons en garde contre la propagation de leurs idées ici comme ailleurs », insiste Jérôme Michel.

Pour les membres de l’amicale comme pour la direction du Centre islamique de Lausanne, l’argent de l’Arabie Saoudite circule aussi en Suisse et favorise l’implantation de communautés dans lesquels les ouvrages d’Abdel Wahab, fondateur du mouvement ultra rigoriste qu’est le wahabisme, et de Sayed Qotb (frère musulman pendu par Nasser en 1965, et disciple de Mawdoudi, théoricien indo-muslman) passent de main en main. « Si on ferme les yeux comme en Algérie, ces gens prendront de plus en plus de place. Ils disent condamner le terrorisme, mais en même temps ils s’imprègnent des conceptions qui mènent à la violence. D’où l’importance de l’enseignement et de l’éducation pour ne pas laisser passer cette conception du monde », souligne Jérôme Badin, secrétaire de l’amicale.

§Dangereuse vulgarisationMême si ses membres avouent tous ne pas se sentir mis en accusation, une conférence sur les modes de vie de l’islam prévue quelques jours après les attentats a été annulée. « La municipalité et la police lausannoises craignaient d’éventuels troubles. Nous ne voulions en aucun cas laisser penser à une provocation. Certains ont été déçus. J’ai le sentiment que beaucoup de nos concitoyens ressentent justement le besoin d’éclaircissements à propos du monde musulman », précise Jean-Pierre Monnin. Une nouvelle date a donc été arrêtée . Et cette fois, le débat portera justement sur les extrémismes.

Ancien cadre d’une grande maison de distribution lausannoise, Jean-Pierre Monnin explique sa conversion par les mêmes mots que ses compagnons : la découverte d’une vérité, d’une foi qui réponde à toutes ces questions et règle la plupart de ces faits et gestes. « Un puzzle où tout se tient, où chaque pièce est à sa place et ne pourrait se trouver à une autre. Mais la religion musulmane comme les autres doit être apprise, approfondie. De moins en moins de croyants s’y emploie. C’est dommage. Et c’est surtout dangereux. »