Des clés pour comprendre l'intégrisme islamiste

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Des clés pour comprendre l'intégrisme islamiste

13 mars 2002
Au nom de quoi la clameur islamiste tue-t-elle ? Allah serait-il un formidable alibi pour des foules exaspérées par la l’humiliation, la pauvreté, la frustration ? Spécialiste du monde arabe et de l’islam, la journaliste Martine Gozlan propose des clés pour comprendre l’intégrisme musulman dans un livre qui vient de paraître
Elle remonte aux racines religieuses, politiques et psychologiques de l’intégrisme pour élucider une idéologie qui se pose en réponse absolue à l’existence du musulman. Explications claires et tranchées.

« Tous les musulmans devraient s’interroger pour comprendre pourquoi la foi a produit tant de mutants » : au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, l’écrivain Salman Rushdie a lancé cet appel à la conscience musulmane rationnelle du premier monothéisme mondial avec un 1 milliard 200 000 croyants. Or de rationnel, il n’y en a guère dans l’idéologie des intégristes qui cherchent à déstabiliser le monde occidental et l’islam réformiste en faisant régner la confusion mentale et en ne tolérant aucune contradiction.

D’emblée, Martine Gozlan souligne l’ambivalence profonde du Prophète, son va-et-vient permanent entre le religieux et le politique, entre l’esprit de tolérance et l’esprit de conquête. Il y a, relève-t-elle, un Mahomet prophète et un Mahomet chef de guerre, un Prophète des droits de l’homme et un Prophète de la répression. Les versets sur la responsabilité et la solidarité humaine côtoient tout un arsenal répressif au nom duquel on humilie et on tue. Dès l’aube de la nouvelle foi, l’ombre et la lumière se succèdent à une rapidité qui finit par brouiller l’effort d’analyse des commentateurs. Le dédoublement de la personnalité de Mahomet a produit un dédoublement du texte sacré et l’extrême ambiguïté du Coran justifie des interprétations contradictoires.

A l’humanité de la Constitution de Médine imaginée par le Prophète en 623, succède, quatre ans plus tard, l’énumération des châtiments qui vont s’abattre sur tous les incroyants, et l’appel au Djihad, qui appelle à un effort du croyant vers le bien et la perfection exigés de Dieu, mais qui peut aussi être compris comme un appel à la lutte armée de lutte armée contre les païens, dans le but d’établir un Etat islamique.

§L’Egypte, berceau de l’intégrismeMartine Gozlan parcourt l’histoire de l’idéologie islamiste contemporaine née en Egypte en 1928 avec les Frères Musulmans qui caressent l’idée d’une renaissance de la grandeur perdue de l’islam. Le mouvement se scinde en deux, entre partisans de la modernisation radicale sur le mode occidental, qu’ils considèrent comme la seule façon de restituer une dynamique à des sociétés bloquées, et les tenants d’une réorganisation à la musulmane avec le retour aux sources du Coran et le rejet de l’Occident.

Entrés dans la clandestinité en 1954, les Frères Musulmans sont systématiquement emprisonnés par le régime de Nasser. Parmi les prisonniers entassés dans les geôles Sayyid Qutb qui va en devenir le maître à penser. Il muscle l’idéologie islamiste, prône la guerre totale à l’échelle planétaire, contre tous es impies. Pendu, Sayyid Qutb devient un martyr et un mythe pour l’intégrisme international.

En 1967, la défaite qu’infligent les Israéliens aux Egyptiens lors de la guerre des Six Jours est un traumatisme qui va se répercuter sur l’ensemble du monde arabe. Les conséquences de cette humiliation sur la psychologie des masses musulmanes se répète lors de la Guerre du Golfe en janvier 1991, et se renforce lors de la récente riposte américaine sur sol afghan, suite aux attentats du 11 septembre. Ces événements exacerbent l’identité islamique, la haine du vainqueur et l’exigence de revanche. Ces différents facteurs servent forcément l’expansion de l’intégrisme.

§Révolution iranienneBien sûr, l’intégrisme mondial n’aurait pu se développer à une telle vitesse depuis 1979 sans ce que Martine Gozlan appelle le syndrome de Téhéran. Il a galvanisé les espérances islamistes et conduit aux premières actions suicides au Liban, en Palestine et en Algérie. La révolution chiite a tout à la fois revivifié l’intégrisme et définitivement ancré les militants dans un désir de mort donnée et reçue qui ensanglante la terre entière.

§Répression sexuelleA l’humiliation de l’histoire, il faut ajouter des facteurs sociaux évidents: Martine Gozlan rappelle que l’islam au sud est obsédé par le spectacle de l’abondance qui règne au nord face à la misère de ses populations et a tendance à chercher les causes de son sous-développement uniquement dans la colonisation passée et non dans la gestion actuelle. Pour surmonter son traumatisme, l’islam intégriste affiche un idéal de supériorité existentiel. Et répond à la provocation de l’Occident par la force de la foi, la pureté morale mais aussi… le nombre !

L’auteur souligne enfin les effets dévastateurs de cette exigence de pureté, obtenue par la répression sévère de la libido. L’assujettissement des femmes en est la conséquence la plus directe et a plus flagrante. L’émancipation de la femme représente le mal absolu. Qui libère la femme, libère tout le reste. Qui contrôle la femme assoit le pouvoir de toutes les hiérarchies. Rendre la femme invisible, note avec pertinence Martine Gozlan, marque avec éclat la visibilité de l’islam.

§Martine Gozlan, « Pour comprendre l’intégrisme islamiste », 199 pages, janvier 2002, éd. Albin Michel.