En Suisse, des voix juives dénoncent la politique d’Ariel Sharon

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En Suisse, des voix juives dénoncent la politique d’Ariel Sharon

5 avril 2002
Des citoyens suisses d’origine juive dénoncent la politique menée par le gouvernement d’Ariel Sharon
Avec des compatriotes d’origine arabe, ils ont lancé en février dernier un Manifeste qui condamne l’escalade de la violence entraînant Israéliens et Palestiniens dans une logique suicidaire. Ils demandent le retrait des forces israéliennes de tous les territoires occupés, y compris Jérusalem-Est et réaffirment la nécessité de la création d’un Etat palestinien souverain aux côtés d’un Etat israélien. Des voix singulières au sein d’une communauté très divisée sur la question.

C’est une « grande colère contre les provocations de Sharon et la façon qu’il a de mépriser les Palestiniens et de les traiter avec tant d’indignité, au mépris des résolutions des Nations Unies et des Droits de l’Homme » qui a décidé Denise Fischer à signer le Manifeste pour une paix juste au Proche-Orient. « Il faut avoir le courage de ses opinions », affirme la signataire qui n’ignore pas que sa position peut être mal perçue par les différentes communautés juives de Suisse. « Je suis avant tout une démocrate ! » tient-elle à préciser.

Du courage, il en faut pour ne pas se laisser enfermer dans une logique de repli identitaire, forcément renforcée ces jours-ci par les attentats antisémites perpétrés un peu partout en Europe, et pour rappeler la diversité des opinions des Juifs à l’égard d’Israël, contrairement à l’idée d’unité que certains représentants de la communauté juive voudraient accréditer. Si la majorité de la communauté juive de Suisse s’aligne généralement sur la politique du gouvernement israélien, elle s’ouvre toutefois au débat.

§Lutter contre Sharon pour servir IsraëlS’élever contre la politique du gouvernement de Sharon ne signifie pas être anti-israélien, mais c'est s'attirer l’incompréhension de sa communauté. Cette militante genevoise des Droits de l’Homme, signataire du Manifeste, en fait aujourd’hui l’expérience. Elle tient à rappeler qu’elle était sioniste depuis son plus jeune âge et qu’Israël représente pour elle une seconde patrie. Certains veulent voir en elle une renégate. « J’estime, ajoute-t-elle, que ce n’est pas trahir les miens que de vouloir prendre lucidement du recul pour chercher des solutions viables à long terme».

Elle défend la séparation du pouvoir politique et religieux pour garantir le respect des Droits de l’Homme et s’appuie sur les écrits du grand intellectuel et philosophe juif Yeshayahou Leibowitz selon lequel "il y a un chemin qui mène du nationalisme vers la barbarie, via le militarisme."

Rien actuellement n’est plus difficile que de prendre de la distance face à la situation inextricable qui s’aggrave de jour en jour au Proche-Orient. Pour cette même signataire, la critique du gouvernement de coalition Sharon-Peres n’est pas à assimiler à de l’antisémitisme ou à de l’anti-judaïsme. « Je comprends que les violences subies par les Israéliens suscitent un désarroi profond et des peurs amplement justifiées dans nos communautés, qui entraînent un réflexe de repli. Les lignes de fracture ne sont pas seulement entre nos diverses communautés mais bien à l’intérieur même de chacun d’entre nous. Jamais la déchirure intérieure n’a été aussi vive et douloureuse. » Mais c’est précisément pour dénoncer les attentats suicide qui ensanglantent la population civile israélienne et tenter d’arrêter les mesures de répression qui ne font qu’attiser de nouvelles violences qu’elle a souscrit au Manifeste. « Dans ce contexte, notre silence, estime-t-elle, équivaudrait à une acceptation tacite de cette situation devenue intolérable pour les deux peuples."

§Manifeste peu équitableSi le biologiste et écrivain Maurice Stroun a également signé le Manifeste, c’est non sans quelques hésitations. L’auteur de « Israël-Palestine, l’histoire a-delà des mythes » et co-fondateur du centre pour la Paix au Moyen-Orient (Tel-Aviv 1982)estime que cet appel n’est pas équitable dans la formulation de ses dénonciations. Et de rappeler que si Ariel Sharon a trouvé une majorité pour l'élire en février 2001, c'est, en pleine conversation de paix, l'autorité palestinienne qui a préparé et lancé l'Intifada de septembre 2000, et que c'est Arafat qui a refusé la paix selon les propositions Clinton, très proches de celles présentées par les Saoudiens à Beyrouth tout récemment. "Sharon au pouvoir a mis en place un programme qui est d'écraser l'Autorité de la nation palestinienne. Les bombes humaines palestiniennes lui ont permis d'utiliser l'armée dans des conditions indignes, au mépris des conventions de Genève, pour réoccuper les villes et camps palestiniens. Il est évident, précise Maurice Stroun, que ce projet va échouer car il est dfficile de briser un peuple qui veut son indépendance. Il n'y a pas de paix possible, conclut-il, sans un Etat palestinien avec sa capitale à Jérusalem aux côtés d'Israël."

Je soutiens Israël, pas Sharon ! » affirme Gilad Ben-Nun, 29 ans, chercheur à Genève et signataire de l’appel qui réunit Juifs et Arabes de Suisse. Il rappelle que le gouvernement israélien a ordonné la mobilisation de 20'000 réservistes. « Des jeunes comme moi qui seront peut-être tués pour rien ! » fait-il remarquer. Que va faire Sharon maintenant ? Se lancer dans une guerre de longue durée pour supprimer tous les Palestiniens ? Avec l’actuel gouvernement de coalition, la gauche a été démantelée en Israël, mais il reste encore beaucoup de gens de bonne volonté, des pacifistes actifs, des soldats israéliens qui refusent de raser les maisons palestiniennes et de participer à l’occupation des territoires palestiniens, des grands-mères israéliennes qui s’organisent pour demander l’évacuation des territoires occupés, afin que leurs petits-enfants puissent vivre en paix. Tous ces gens sont malheureusement terriblement isolés ». Par leur Manifeste, les 200 signataires juifs et arabes soutiennent toutes les voix qui s’élèvent contre la terrible dynamique de la guerre.

§ A consulter sur le Net : Le Manifeste pour une paix juste au Proche –Orient, www.manifeste.ch