Religions : La révolution du dialogue

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Religions : La révolution du dialogue

18 avril 2002
Dans un livre passionnant, le directeur de la collection « Spiritualités » chez Albin Michel affirme que renforcer la compréhension entre les grandes traditions doit devenir une donnée centrale de l’expérience religieuse, en même temps qu’une nécessité politique
Encore faut-il ne pas confondre compréhension d’autrui et « spiritualité amnésique ». « Le dialogue entre les religions – et plus généralement entre les cultures qu’elles ont engendrées et qu’elles nourrissent encore - n’est pas une utopie : il est plus que jamais une nécessité politique concrète. » Le livre de Jean Mouttapa, directeur du département Spiritualités des éditions Albin Michel, est un appel à une révolution, celle de « religions en dialogue ». Un bouleversement préparé par quelques pionniers qui osèrent tendre la main et écouter l’autre, bien avant leurs autorités spirituelles respectives.

De l’empereur Ashoka de l’Inde du IIIe siècle qui se convertit au bouddhisme et plaça son règne sous le signe de la compréhension universelle au calviniste Jean de Léry en Amérique latine, en passant par la figure tutélaire de François d’Assise, le dialogue inter-religieux eut ses précurseurs. « Maintenant, explique Jean Mouttapa, les différentes traditions doivent entrer dans une pro-existence, pour reprendre le mot du théologien Hans Küng, où la connaissance et l’approche de l’autre tiendraient une place centrale dans la démarche spirituelle. »

Vision de la foi à l’opposé des intégrismes et des sectes, qui naissent précisément de la crainte du métissage spirituel en développant un discours qui diabolise l’altérité.

§Pas d’échange sans altéritéPourtant, pour l’auteur, le principal ennemi du rapprochement entre les monothéismes réside ailleurs, dans ce « confusionnisme qui se développe en Occident, nouvelle vague de religiosité qui se déclare tolérante, unificatrice, fondée sur une communication multiculturelle étendue aux dimensions du globe. Elle croit avoir réglé définitivement la question de la violence religieuse par une dilution systématique de la notion d’identité. »

Ce grand brassage planétaire, que le philosophe Alain Finkielkraut nomme « néo-cosmopolitisme, deuil euphorique et douillet de l’expérience du dehors », revient à considérer croyances et pratiques comme interchangeables et visitables à l’envi selon les émotions et les envies du moment. C’est oublier que « la possibilité même d’un échange est ruinée par la disparition de toute altérité », rappelle l’auteur qui croit fermement que toute spiritualité s’enracine dans une mémoire particulière.

Seuls quelques « apatrides célestes », à l’instar du grand maître soufi Rûmî, sont parvenus à s’élever au dessus de leurs conditions pour atteindre l’essence du divin. Le commun des mortels, lui, « ne peut que reconnaître humblement, sous peine de prendre ses petits désirs velléitaires pour la Réalité dernière, qu’ils est de quelque part. » Et c’est mal comprendre l’enseignement critique des traditions d’un Krishnamurti que de croire en l’utopie d’une « spiritualité amnésique », d’une religiosité universelle aux allures de chaîne de télévision américaine, véritable « barbarie à visage spirituel. »

Ainsi, pour Jean Mouttapa, la vraie révolution du dialogue consisterait non pas à rompre avec la mémoire séculaire des grandes traditions spirituelles, mais à « les purifier de cette sacralité douteuse qui a fait leur puissance », à rompre « ce lien archaïque entre religion et angoisse. » Tout l’enjeu réside donc dans le dépassement d’une sacralité extérieure à l’homme, fausse réponse à ses peurs, en même temps que réaffirmation de la nécessité vitale d’une mémoire des traditions.