Conflit du Proche-Orient :Le difficile partage des origines entre juifs et musulmans

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Conflit du Proche-Orient :Le difficile partage des origines entre juifs et musulmans

24 avril 2002
Le partage des origines entre les trois monothéismes - judaïsme, christianisme et islam - fait problème aujourd’hui encore et sous-tend le conflit du proche-Orient
Dans un livre au titre provocateur, « Nom de Dieu », le philosophe et psychanalyste français Daniel Sibony analyse comment les forces de l’inconscient travaillent les religions. Censées contenir la violence des hommes et apaiser leurs angoisses, elles sont parfois à l’origine de grands déchirements. Notes de lecture.Philosophe et psychanalyste né au Maroc dans une famille juive, Daniel Sibony s’attache à montrer comment les trois monothéismes vivent aujourd’hui encore une terrible rivalité pour s’approprier le message divin et en être les seuls détenteurs. L’obsession de détenir l’origine, l’impuissance à y renoncer et à la partager, la conviction que si on ne peut la détenir, c’est à cause de l’autre qu’on se met à haïr, sont la source du conflit qui déchire le Proche-Orient.

Pour Daniel Sibony, la question de l’origine est essentielle parce qu’elle touche à la façon de construire son identité, de s’enraciner dans la réalité, de vivre et de partager le manque, la cassure où s’insère l’idée de Dieu. Il peut y avoir une fraternité à partager la même épreuve du manque, à butter sur la faille qui ouvre sur le divin. Or ce partage n’est possible qu’avec ceux qui ne sont pas trop inquiets sur le plan narcissique et peuvent se remettre en question. Pour l’auteur, le partage des origines ne se fait pas aujourd’hui entre religieux et non religieux, entre civils et barbares, mais bien entre ceux qui ont besoin de sacrifier « l’autre » pour affirmer leur identité et être en paix sur le plan physique et symbolique, et ceux qui n’en ont pas besoin.

§AncrageL’auteur passe en revue les caractéristiques des trois monothéismes, dont le premier a été initié par les juifs. Ce monothéisme originel s’appuie sur la Bible juive qui donne un ancrage et une connivence avec l’inconscient de l’être humain. La Torah a tissé une trame symbolique autour d’un personnage abstrait appelé YHVH, tétragramme qui signifie « l’être-étant-été-à-être », autrement dit l’Être Suprême. Ce dernier, nous rapporte la Bible, punit son peuple et le soumet à toutes sortes d’épreuves. Pour réagir aux coups qu’ils reçoivent de leur Dieu, les Hébreux ont développé un fort sentiment de culpabilité. C’est ce qui explique que l’identité juive se fonde sur une faille ontologique entre le peuple juif et « son » Dieu.

§Le coup de force du christianismeLe coup de force fondateur du christianisme, c’est qu’un homme appelé Jésus se lève, invoque l’ancien Testament et annonce qu’il est celui par qui les promesses des Ecritures s’accomplissent. Il constate que les gens de son temps sont suspendus à des attentes et des choses essentielles dont le manque les désespère ; il prend sur lui le manque, il offre la grâce, le pardon et la foi. Il implique les fidèles dans l’émergence de Dieu : avec la foi dans la résurrection de Jésus, ils renaissent eux aussi, innocentés et graciés. « C’est comme si Jésus était venu pour annuler toutes les dettes, comme on annule la dettes des pays pauvres ; cela ne les empêche pas de s’appauvrir, puisque c’est dans le jeu de l’être et dans ses failles que les dettes resurgissent ».

§Le Coran ancré dans la BibleL’islam, lui, s’est formé contre les juifs et les chrétiens, du moins dans le Coran. L’essentiel de ce texte fondateur est ancré dans la Bible, et Mohammed y fait défiler les grand prophètes hébreux qui déclarent « être soumis à Dieu », ce qui semble banal, mais qui, formulé ainsi, remarque Daniel Sibony, veut dire qu’ils sont musulmans, car en arabe, « soumis à Dieu » se dit musulman.

Le Coran annexe les prophètes juifs comme Abraham et Jacob et s’approprie leur message. La mise à l’écart dans la Bible juive d’Ismaël, fils d’Abraham et de la servante Agar, est une blessure narcissique douloureuse qui a poussé l’islam à se construire sur l’idée que les autres sont dans l’erreur, donc à rejeter juifs et chrétiens parmi les infidèles. Le Coran a voulu réparer cette humiliation, ce qui l’a amené à transmettre une colère inconsciente envers l’autre qui le précède et qui l’a humilié. Cette colère ne remonte à la surface que lorsque les plus radicaux passent à l’acte et veulent amener le monde entier à la soumission à Allah, c’est-à-dire à l’islam.

L’idée de Dieu, dans le monothéisme, est , pour Sibony, une bombe à retardement. La question aujourd’hui , n’est plus de savoir quel est le « bon » Dieu, mais de comprendre de quoi est fait le divin, d’aborder la quête du symbolique, véritable ressort de nos vies, sans que les religions ne la confisquent. De revenir à l’idée d’un Dieu qui nous dépasse, comme rapport de l’homme à l’au-delà de ses limites.

§Daniel Sibony, Nom de Dieu, 344 pages, éd.du Seuil