Cultiver le pardon pour s’éloigner de la haine

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Cultiver le pardon pour s’éloigner de la haine

26 avril 2002
Deux Libanais. Un chrétien et un musulman. Durant quinze ans, chacun a livré à l’autre camp une guerre fratricide qui fit plus de 100'000 morts et deux fois plus de blessés
Aujourd’hui, alors que leur pays panse ses plaies, les deux hommes demandent pardon pour leur fanatisme meurtrier. Deux témoignages forts, entendus la semaine dernière à Lausanne et Genève. Assaad Chaftari était un soldat sans pitié. Durant la guerre civile qui ravagea le Liban durant 15 ans, il se battit au sein des milices chrétiennes en tant que responsable des unités de sécurité. « Chaque musulman, jeune ou vieux, militaire ou civil, était mon ennemi, un traître à ma patrie », admet l’ancien dignitaire de ce que l’on appelait alors les forces libanaises. Répondant à l’invitation du mouvement de Caux pour la réconciliation « Initiatives et changement », une trentaine de personnes écoutent en silence son témoignage dans une salle de conférence genevoise.

« J’avais ma vision de l’histoire du Liban, explique Assaad Chaftari. Pour moi, il était normal que les chrétiens soient mieux placés dans la société et qu’ils détiennent tous les pouvoirs. Et lorsque le conflit a commencé en 1975, il a été tout aussi évident que je devais les combattre. » Une population musulmane tournée vers les pays arabes, alors que les 40% de chrétiens libanais ne voient que l’Occident.

Durant plusieurs années, l’homme ne fera pas de quartier. «A mon poste, j’étais devenu le policier, le juge et le bourreau de mes victimes ». Il faudra une rencontre fortuite avec – déjà – une mission venue de Caux pour que Assaad Chaftari se remette en question et commence à pardonner. En pleine guerre, « Initiatives et changement » instaure tant bien que mal les prémisses d’un dialogue inter-religieux à Beyrouth. « C’est là que j’ai rencontré pour la première fois le musulman comme un être humain que je devais accepter comme différent. J’ai appris qu’il pouvait être père, qu’il avait ses rêves et ses craintes. Et surtout qu’il nourrissait autant de rancœur que moi ! »

Il y a deux ans, Assaad Chaftari envoie une lettre publique de pardon au plus grand quotidien libanais, dans laquelle il avoue avoir longtemps emprunté un chemin loin de Dieu et de l’amour d’autrui. « Je veux maintenant apprendre à rencontrer l’autre, à le respecter sans pour autant lui ressembler. »

§S’éloigner de l’endoctrinementHisham Shihab comptait parmi ses ennemis. « A la fin du XIXe siècle, rappelle-t-il, le monde musulman se montrait très intéressé par le monde chrétien. Mais au lieu de nous aider, les états occidentaux nous ont colonisé. » Intégré dans une milice islamiste à l’âge de treize ans, il subit l’endoctrinement classique avec les musulmans d’un côté et de l’autre, des infidèles vivant dans un monde corrompu qu’il faut détruire.

Mais un jour à Beyrouth, alors qu’il a dans la ligne de mire de son fusil, une vieille dame et son petit-fils, il refuse de tirer. « Elle ressemblait à ma propre grand-mère, et l’enfant à l’un de mes cousins. » Ce jour-là, il désobéit et décide « qu’aucune cause de vaut un bain de sang ». Hisham Shihab quitte la milice, se met à étudier le Coran et s’aperçoit que l’islam qu’on lui a présenté est une manipulation politique. « Dans la Bible et le Coran, l’on trouve les mêmes versets sur l’amour d’autrui. Je sais maintenant qu’un vrai musulman doit respecter les juifs et les chrétiens. Au Liban, chacun a été encouragé dans une culture de la haine et non de la tolérance et cela a amené la guerre et la désolation sur notre pays. »

Les deux hommes, réunis dans un même pardon, regardent avec inquiétude la situation dégénérer entre Israéliens et Palestiniens. Pour tous les deux, il ne pourra y avoir de réconciliation sans justice.