L’Eglise et l’homosexualité : ouvrir le débat

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L’Eglise et l’homosexualité : ouvrir le débat

6 mai 2002
Vendredi dernier, la société vaudoise et la faculté lausannoise de théologie invitaient à une journée de réflexion sur le thème des couples homosexuels
Alors que la reconnaissance d’un statut juridique progresse, le questionnement des communautés chrétiennes paraît plus que jamais d’actualité. Perspectives. La société suisse s’apprête à offrir un statut juridique aux homosexuels à travers le projet du partenariat enregistré. De leur côté, les communautés chrétiennes et les croyants eux-mêmes s’interrogent, souvent dans la division. Organisée vendredi par la société vaudoise et la faculté lausannoise de théologie, cette journée de réflexion tombait donc à point nommé pour évoquer les différents aspects de la question, qu’ils soient sociaux, juridiques, mais aussi éthiques et théologiques.

« L’amour vécu, y compris et d’abord vis à vis du prochain constitue pour moi le premier lieu d’appartenance à l’Eglise ». Conseiller synodal lausannois, Antoine Reymond a invité l’Eglise réformée vaudoise à sortir de son silence, à prendre position sur l’homosexualité et les nombreuses interrogations qu’elle pose à la communauté protestante : Quel pourrait être le fondement théologique d’une bénédiction pour l’union de personnes du même sexe ? Comment accueillir les homosexuel(le)s ? Peut-on consacrer un pasteur homophile ?

§D’autres injonctions ignoréesCertains textes bibliques résonnent comme une évidente condamnation. Encore faut-il se rappeler que la vision moderne de l’homosexualité n’a pas grand chose à voir avec celle de l’antiquité. De plus, « il existe également des passages qui disent des choses sur la paix, la justice, ce que l’on pourrait appeler l’usage du monde. Pourquoi n’a-t-on pas la même rigueur spirituelle dans ces domaines ? », s’est interrogé Antoine Reymond. Selon lui, il paraît clair qu’au nom de l’acceptation des différences et du refus de l’exclusion, les chrétiens doivent « entrer en dialogue avec ce qui n’est pas d’abord un péché mais une condition existentielle qui n’a pas vraiment fait l’objet d’un choix ».

Céline Perrin, assistante en anthropologie, a rappelé pour sa part que les réactions homophobes peuvent être vues comme le reflet de la domination de l’homme, de « cette différence entre les sexes qui n’est pas une donnée biologique, mais une construction sociale souvent basée sur des rapports de pouvoir. » La question serait alors de se demander dans quelle mesure la norme hétérosexuelle de nos sociétés s’avère liée au maintien de ces inégalités entre hommes et femmes.

Professeur de théologie systématique à Zurich et co-auteur du livre de la FEPS « Qui a peur des homosexuels ? » (lire notre article no 171), Pierre Bühler a poursuivi cette réflexion en rappelant que « la relative normalité de l’hétérosexualité peut devenir une norme condamnant toute autre pratique comme contre nature. Pourtant, on peut aussi considérer que l’hétérosexualité ne constitue pas la seule altérité possible en matière sexuelle; qu’il s’agit d’une norme institutionnalisée par le mariage, aujourd’hui remise en cause par l’évolution de nos sociétés. »

Certes, a expliqué l’enseignant, la théologie de la création considère la relation physique entre homme et femme comme le reflet de la volonté divine, avec le don de la vie qui transcende l’acte charnel. Telle est notamment la position de l’Eglise catholique et de certains courants protestants dans leur condamnation de ce qui est perçu comme une « abomination ».

§Pour une autre théologieUne autre vision théologie est-elle possible ? Pierre Bühler s’en est dit convaincu. Pour lui, dans la Bible, le rejet de l’homosexualité apparaît le plus souvent au milieu d’un catalogue de vices qui s’oppose aux règles de la sainteté. « Mais avec la sexualité, nous nous trouvons dans le registre de l’ambiguïté, avec ses libertés et ses esclavages. Chez Paul existe cette dialectique de la liberté, avec la notion d’autorité de chacun des époux sur le corps de l’autre. Un rapport interpersonnel de confiance à l’image du Créateur, qui se passe du média de la procréation et qui permet l’acceptation de la variété des préférences sexuelles. »

Alberto Bondolfi, professeur au sein du nouveau centre lémanique d’éthique, s’est chargé de rappeler le point de vue catholique. Le discours du Vatican en matière d’homosexualité se fonde sur la doctrine du mariage, sacrement fondateur de la société. « Toute institutionnalisation de l’homosexualité est dès lors considérée comme source de désordre objectif, à la fois politique, théologique et ontologique. » Pourtant, a souligne Alberto Bondolfi, l’Etat moderne ne propose qu’une théorie très faible du mariage. Dès lors, a-t-il argumenté, on peut se demander si une reconnaissance juridique des couples de même sexe ne remplit pas deux des trois buts fondateurs de la théologie classique du mariage : le règlement de l’instinct sexuel (monogamie, fidélité entre les conjoints) et l’aide réciproque entre les deux partenaires. Autant de questions qui devraient occasionner un âpre débat. Encore faut-il, comme l’on souhaité tous les participants à cette journée, permettre à celui-ci d’avoir lieu.