Le oui au régime du délai ne fait pas l’unanimité en protestantisme

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Le oui au régime du délai ne fait pas l’unanimité en protestantisme

21 mai 2002
Contrairement à ce que l’on entend souvent, le protestantisme ne fait pas bloc derrière le régime du délai
Certes la Fédération des Eglises protestante de la Suisse (FEPS) invite à voter oui le 2 juin prochain. Mais parmi les pasteurs comme dans les paroisses, un non se manifeste et trouve des porte-parole très militants. Revue des arguments en présence avec le pasteur Philippe Decorvet, animateur d’une association pour couples et familles, et le professeur Denis Müller, inspirateur du oui de la FEPS au régime du délai.Dans le débat autour du régime du délai, les protestants ne sont pas unis derrière le oui de la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse (FEPS). De nombreux pasteurs comme de nombreux paroissiens revendiquent le droit de penser différemment. « Nos Eglises réformées se considèrent comme pluralistes, relève le pasteur Philippe Decorvet. Elles ne véhiculent donc pas de pensée unique à propos des votations du 2 juin ». Très impliqué dans l’accompagnement des couples et des familles au travers de l’association Oïkos et à l’Institution des diaconesses de St-Loup (VD), Philippe Decorvet dira non au régime du délai le 2 juin prochain.

Les divergences avec l’instance faîtière du protestantisme helvétique ne s’enracinent pas fondamentalement dans une perception éthique différente de ce qu’est l’acte d’avorter lui-même. Pour Denis Müller, professeur d’éthique à l’Université de Lausanne et rédacteur de la prise de position de la FEPS, comme pour Philippe Decorvet, l’interruption de grossesse est une « transgression humaine de l’interdit fondamental de tuer ».

S’il y a accord entre partisans et opposants protestants au régime du délai sur ce point fondamental, ils n’en tirent pas les mêmes conséquences au plan social. Pour Philippe Decorvet, la législation d’un Etat doit reprendre cet interdit. « Pour aller au devant des gens, s’indigne-t-il, aujourd’hui on est prêt à tout tolérer ! » Pour ce pasteur réformé de sensibilité évangélique, il faut donc que l’Etat maintienne fermement son opposition à l’avortement. Il préfère « un législateur qui dise clairement les choses et qui se montre compréhensif dans l’application de la loi, plutôt que l’inverse ».

Denis Müller se défend de vouloir entreprendre tout panégyrique de l’avortement. « En soi ce n’est pas un bien recommandable, affirme-t-il, mais dans certains cas une interruption volontaire de grossesse est un moindre mal. Un moindre malheur », s’empresse-t-il d’ajouter. Pour le professeur de la Faculté de théologie de Lausanne, il y va en l’occurrence d’une question de morale assez classique : du point de vue éthique peut-il être demandé de choisir un moindre mal plutôt qu’un plus grand mal ? Pour Denis Müller, le régime du délai n’est ni une réponse éthique à l’avortement, ni une solution évangélique. « Il s’agit d’une solution démocratique et pragmatique qui tient compte du fait que notre société connaît un conflit profond sur ce sujet ». En bref, le régime du délai est un compromis juridique pour parvenir à cohabiter démocratiquement avec nos divergences.

§Divergences sur l’embryonSi ce oui et ce non protestant au régime du délai s’enracinent dans une perception commune de l’acte d’avorter, ces prises de position ne développent pas la même perception de l’embryon. Pour caractériser la vie intra-utérine, Philippe Decorvet parle de personne humaine dès la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde. En cela, il adopte une perception du statut de l’embryon très proche de celle de la Conférence des évêques suisses.

Denis Müller ne le suit pas sur ce terrain. L’éthicien à l’origine de la position de la FEPS refuse tout télescopage entre l’ovule fécondé et l’enfant né. « Même si la position évangélique ou catholique apparaît extraordinairement cohérente, explique-t-il, elle est basée sur un présupposé qui décide a priori que c’est la même chose. Tant du point de vue embryologique que de l’expérience humaine concrète, tout pousse à dire qu’il n’y a pas d’équivalence ». Denis Müller préfère recourir à la formule de « vie humaine en devenir ». Il essaie de « se tenir sur la crête, entre ceux qui soulignent la continuité entre l’embryon et l’enfant et ceux qui récusent toute continuité». Il tient, dans sa réflexion éthique, à maintenir la continuité « indéniable » entre l’embryon et l’enfant né, tout en rappelant que c’est la naissance d’un être humain qui fait de lui une véritable personne. Ce faisant, Denis Müller rompt avec les partisans d’un statut humain de l’embryon construit uniquement à partir de l’existence d’un projet parental. Pour lui, « le fait que l’enfant mérite de naître pour autant seulement que le projet parental soit valable et digne, a quelque chose de tout à fait choquant ».

§La femme, libre parce que protégée ?Si le régime du délai est adopté, Philippe Decorvet constate que l’homme sera encore plus déresponsabilisé. Il craint aussi que la femme enceinte ambivalente ne « soit livrée à la pression de son entourage qui la pousserait à avorter ». En fait « elle risque d’être beaucoup moins libre que maintenant », ajoute-t-il. L’animateur de l’association Oïkos pour les couples et les familles déplore aussi que le débat actuel n’évoque pas la détresse des femmes qui ont interrompu leur grossesse. « Je viens d’avoir en entretien, confie-t-il, une femme aux cheveux blancs qui témoignait de son désarroi après deux avortements déjà bien anciens. De cette extraordinaire souffrance on ne parle jamais ! »

Pour Denis Müller, le régime du délai permettrait à la femme de faire un choix libre et responsable. Pour permettre un mûrissement de sa décision éthique elle pourra toujours demander une consultation auprès d’un centre agréé. Le régime du délai oblige en effet le médecin à remettre à la femme qui veut avorter la liste des centres auxquels s'adresser. Pour l’inspirateur de la prise de position de la FEPS, ces femmes fréquenteront d’autant plus librement de tels centres qu’elles en ont le choix et qu’elles n’y sont pas contraintes.» Et ce même si ces femmes traversent une détresse profonde.