Avortement : l’éthique religieuse enflamme le débat

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Avortement : l’éthique religieuse enflamme le débat

24 mai 2002
A quelques jours de la votation du 2 juin, partisans et adversaires du régime des délais s’affrontent dans d’ultimes débats
Jeudi soir à Beausobre, un public très attentif est venu assister à une soirée organisé par la plate-forme des Eglises chrétiennes de Morges. Si les références sont communes, les positions demeurent souvent inconciliables. Extraits. Dans une semaine, tout sera dit. Alors que le peuple suisse s’apprête à se prononcer sur le régime des délais, partisans et adversaires de cette modification du code pénal en matière d’avortement se confrontent dans des joutes oratoires souvent animées. Tel fut le cas jeudi soir à Beausobre où un peu moins d’une centaine de personnes répondirent présents à l’invitation de la plate-forme des Eglises chrétiennes de Morges.

« Pour chacun de nous, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) demeure une transgression de l’interdit fondamental de tuer. Mais la réalité de nos existences est souvent plus complexe qu’une dichotomie entre le bien et le mal », tient à souligner le pasteur Jean-Paul Perrin en ouverture de la soirée. Chacun des quatre invités dispose ensuite de cinq minutes pour expliquer sa position face au régime des délais. Eliane Launaz, conseillère en planning familial dans les Chablais valaisan et vaudois, livre son expérience de dix-sept années sur le terrain : « Pour toutes les professions liées à la médecine reproductive, la décriminalisation de l’avortement a constitué un indéniable progrès de santé publique. Le nouveau texte instaure une égalité de traitement, alors que pour l’heure les disparités entre cantons poussent par exemple les Valaisannes à passer la frontière vaudoise pour une IVG. Il oblige à mettre en place des structures et constitue un réponse légale à une réalité sociale. »

§Désaccords plus ou moins fraternelsFlorian Rochat, pasteur et président du comité pour la dignité humaine, et le père Vincent Siret, professeur de théologie morale au séminaire d’Ars (France), s’opposent d’une même voix au régime des délais. « Un oui signifierait ne tenir pour rien la vie dans le sein maternel ; l’acceptation d’un lieu de non-droit avec le seul arbitraire des douze semaines. Ce serait le signal d’une société démissionnaire qui se décharge de sa propre responsabilité, en laissant la mère décider seule », dénonce Florian Rochat. Pour son confrère catholique, le droit inaliénable à la vie vaut aussi pour l’embryon humain. « Le respect de la liberté de la femme passe après le respect de la vie humaine de manière inconditionnelle, dès qu’elle est là. C’est un attentat à la vie, qui ne résout pas les causes d’une détresse maternelle. »

Le pasteur et enseignant vaudois Claude Schwaab préfère pour sa part rappeler qu’un avortement est toujours « une solution de désespoir et que le désespoir ne se pénalise pas. Ce ne sera jamais bien ou justifiable, mais ma condition est d’évoluer dans une société imparfaite. La tentation de se convaincre du contraire me paraît très dangereuse. Selon moi, l’Evangile consiste d’abord à regarder le pêcheur et non le péché. »

La Bible, justement, ne parle pas directement de l’interruption de grossesse. Aussi, tout est affaire d’interprétation, notamment face au célèbre « Tu ne tueras point » du Décalogue. Voilà qui ne peut qu’occasionner des « désaccords fraternels » selon la formule un brin humoristique de Claude Schwaab. Pour Florian Rochat comme pour le prêtre Vincent Siret, cet interdit concerne aussi le fœtus, et le seul choix possible pour la femme enceinte « est le respect de la vie qu’elle porte ». La question fuse dans le public : Les 12'000 femmes qui avortent chaque année en Suisse devraient-elles alors finir en prison ? « Il s’agit de tout faire pour encourager le vie, pas de développer des sanctions », répond Vincent Siret un peu mal à l’aise.

Au contraire, pour le pasteur vaudois comme pour Eliane Launaz, un Etat pluriel se doit de trouver un compromis démocratique qui ne constitue pas pour autant un code moral. « Il a fallu neuf ans de débats pour arriver à cette proposition de texte pénal, rappelle la conseillère en planning familial. Cette réponse au drame de l’avortement est certes imparfaite, mais elle constitue une nécessaire mise à jour d’une loi de 1942 aujourd’hui largement inapplicable ».

§« C’est toujours la mère qui assumera l’enfant »La question n’est-elle pas aussi d’ordre spirituel ? se demande un spectateur. Claude Schwaab le reconnaît : « c’est le problème de la liberté que le Christ nous a donnée en même temps que la responsabilité de procréer. L’embryon est pour moi un ‘peut être’ et je considère que le rôle pastoral est d’abord un accompagnement. En définitive, c’est toujours la mère qui assumera l’enfant ». A quoi Florian Rochat conclut qu’il n’agirait pas autrement en tant que ministre, mais qu’il attend d’un Etat une protection de la vie. On le voit : une fois de plus, des positions inconciliables ressortent de cet ultime débat entre chrétiens, malgré des références communes. « Sans doute les croyants et les Eglises ne sont-ils pas encore le royaume de Dieu », conclut avec humour Jean-Paul Perrin.