Rencontre avec Jack Preger, le médecins des oubliés

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Rencontre avec Jack Preger, le médecins des oubliés

6 juin 2002
Plus de 200'000 patients. C’est un peu comme si Jack Preger et son équipe avait soigné la ville de Lausanne
Sauf que ce médecin des rues travaille à Calcutta, avec les plus pauvres d’entre les pauvres. De passage dans la capitale vaudoise début juin, le fondateur de Calcutta Rescue est venu raconter 30 ans de lutte contre le gouvernement et la corruption, pour le droit de chacun d’être soigné. Le témoignage d’un propagateur d’espérance. « Je ne crois pas être particulièrement courageux. Simplement, je ne me décourage pas facilement. » Jack Preger sourit. On l’oblige à parler dans un français qu’il maîtrise mal, mais les quelque 500 spectateurs de la salle lausannoise du Métropole sont suspendus aux paroles de ce septuagénaire au long visage lumineux.

En une trentaine d’années, ce médecin anglais né à Manchester est devenu pour beaucoup un exemple du don de soi et d’une action humanitaire juste. En 1972, le Dr Jack Preger, également diplômé en sciences politiques et en économie, entend à la radio anglaise un appel pour partir au Bengladesh. Laissant derrière lui une prometteuse carrière de chirurgien à Dublin, il s’embarque pour le camp de réfugiés de Dacca. Il y restera cinq ans, avant d’être expulsé pour avoir dénoncé un réseau de trafic d’enfants organisé par le gouvernement bengali.

Mais le grand départ, celui qui lui fera tout quitter, date de 1979 et de son arrivée à Calcutta. Il découvre dans cette mégapole de 12 millions d’âmes l’extrême misère des hors castes, de ces intouchables vivant dans la rue ou dans le fatras des bidonvilles. Le sida n’y sévit pas encore, mais les déshérités de l’ancienne capitale des Indes orientales meurent sous les assauts de la lèpre, de la tuberculose, du typhus, du diabète, de la dysenterie, lorsque ce n’est pas de malnutrition ou d’épuisement. « Depuis toutes ces années, j’ai toujours été douloureusement frappé par la brutalité et l’indifférence d’une grande partie de la bourgeoisie et des autorités indiennes », soupire le Dr Preger.

§Tracasseries administratives et menaces maffieusesCe gouvernement indien ne cessera de lui compliquer la tâche. On lui refuse l’autorisation de pratiquer la médecine, on l’emprisonne et lui fait un procès parce qu’il continue à dispenser des soins sur les trottoirs de Middleton Row ou sous le pont d’Howrah. Pourtant, ni ces tracasseries administratives ni les menaces d’un pouvoir corrompu et d’une mafia toute puissante n’empêcheront de nombreux voyageurs occidentaux de s’arrêter pour aider la petite équipe et les premiers réseaux d’entraide de se créer. Le travail du photographe Benoît Lange contribuera aussi à la naissance de « Calcutta Rescue », présente dans plusieurs pays d’Europe ainsi qu’au Canada et en Australie. Désormais constituée en fondation suisse, « Calcutta Espoir » constitue la tête de pont la plus importante de cette solidarité internationale, puisque les dons qui y sont recueillis, correspondent à environ un tiers du budget de fonctionnement de l’association indienne.

Désormais, Calcutta Rescue compte quatre cliniques gratuites dans lesquelles passent chaque jour entre deux cents cinquante et trois cents patients. « Nous avons grandi, mais cela se déroule toujours de la même manière. Les gens arrivent tôt le matin. Et nous travaillons parfois à la lumière des bougies, tard le soir, pour que chacun reparte en ayant reçu des soins ». Trois écoles non-gouvernementales accueillent une partie des 100'000 enfants des rues de la cité (selon les estimations de l’UNICEF). Un programme d’artisanat, et notamment de tissage, aide à la formation des adultes. Jack Preger lui-même, qui a gagné un long procès de près de 9 ans, est aujourd’hui toléré, pourvu qu’il se taise. Il n’a en revanche toujours pas reçu l’autorisation personnelle d’exercer la médecine. « Les milliers de vies sauvées constitue la plus belle des récompenses, note le Dr Preger. A l’heure d’Internet et des communications modernes, le monde devient de plus en plus petit. Nous espérons que quelqu’un nous entendra ».