Islam : avis de tempête littéraire autour d’un livre à scandale

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Islam : avis de tempête littéraire autour d’un livre à scandale

6 juin 2002
« La Rage et l’orgueil », brûlot anti-musulman d’Oriana Fallaci, attise les passions
La traduction française de ce « sermon aux Européens émasculés » vient d’arriver en Suisse sur fond de polémique, mais aussi de gros succès de librairie. Retour sur un livre écrit dans l’horreur des attentats du 11 septembre, entre cri de colère et diatribe xénophobe. Eructation viscérale ou rupture avec une vision politiquement correcte de l’Islam ? Depuis sa parution en Italie, « La Rage et l’Orgueil » déchaîne les passions en même temps qu’explosent les chiffres de vente dans les librairies transalpines et espagnoles (plus d’un million d’exemplaire en cinq mois). Il faut dire que son auteur n’est pas une inconnue. Oriana Fallaci, malgré dix ans d’exil volontaire et silencieux aux Etats-Unis, demeure - paraît-il - l’une des écrivains italiens les plus lus après avoir été une journaliste et correspondante de guerre appréciée du public (lire l’encadré).

Le 11 septembre dernier, poussée par la « sensation d’un danger imminent », la New-Yorkaise d’adoption allume la télévision dans sa petite maison de Manhattan. Traumatisée par la vision d’apocalypse des tours du World Trade Center en feu, elle trempe sa plume dans le vitriol et écrit un article fleuve pour le Corriere della Sera. Il deviendra ce petit livre incandescent et provocateur, véritable brûlot antimusulman.

§Derrière chaque fils d'Allah, une menaceEcrit dans un langage particulièrement cru (les connotations sexuelles y sont fréquentes), ce « sermon aux Européens » qui, n’ayant plus de couilles « en sont réduits à forniquer avec l’ennemi », vient de paraître en français (chez Plon, après avoir été refusé par Gallimard et Grasset, les deux éditeurs habituels d’Oriana Fallaci). L’ennemi ? Ben Laden et les islamistes, mais aussi pour la journaliste, tous les « foutus fils d’Allah pour qui l’Occident est un monde à conquérir. A châtier, à soumettre à l’islam ». Dans l’esprit de l’auteur, chaque musulman est une menace pour notre culture, une présence haineuse que feint d’ignorer une Europe « émasculée ». Derrière chaque réfugié, elle voit un émissaire ou un espion des pays arabes pressé de détruire notre civilisation, avant l’éclatement programmé du Djihad, d’une « guerre qui ne vise peut-être pas à la conquête de nos territoires, mais qui certainement vise à la conquête de nos âmes ; à la disparition de notre liberté ».

Rien de moins! Autant dire que les réactions ne se sont pas faites attendre. Au point que « La Rage et l’orgueil » provoque la polémique d’un bout à l’autre du continent. L’Italie et l’Espagne applaudissent. Ailleurs, et notamment en France, la plupart des commentateurs ne cachent pas leur dégoût devant ce pamphlet. Il est « abject » pour Maurice Szafran dans Marianne ; et « succombe à la tentation raciste » pour le philosophe Alain Finkielkraut.

« Son extraordinaire succès dans les péninsules italienne et ibérique (…) augure mal du niveau de réflexion collective de l’un des défis les plus graves auxquels est confrontée la civilisation en ce début de millénaire. (…) C’est une sorte de victoire pour les fanatiques », estime pour sa part Le Monde.

§« Un livre écoeurant »Du côté des représentants des communautés religieuses, l’indignation est unanime. « Un livre écoeurant », note Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France. Dalil Boubaker, recteur de la mosquée de Paris, parle d’un « ouvrage de provocation, qui s’ajoute à la longue liste d’une littérature islamophobe ». Le père Jean-Marie Gaudel, responsable au sein de l’Eglise catholique française des relations avec les musulmans, relève de nombreuses inexactitudes : « Affirmer par exemple que le Coran n’a jamais prêché que la haine est une erreur ». Patrick Gaubert, président de la Licra (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme), avertit qu’il y aura attaque en justice s’il existe une base légale, et pense de toute manière que « l’éditeur a fait une erreur en publiant cet ouvrage ». Daniel Sibony, psychanalyste et auteur de « Nom de Dieu, par delà trois monothéismes » (voir notre article no 326) note que cette rage envers le musulman tient « d’une immigration qui défie les Européens de casser leur identité, de l’ouvrir, de la dédoubler. L’immigration est aussi dans l’impasse : elle dispose d’un entre-deux, mais elle est incapable de le vivre et de l’assumer. Résultat, blocage explosif ».

Chez nous, où le texte n’est disponible que depuis quelques jours, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) et la Conférence des évêques suisses avouent ne pas avoir eu le temps de lire ces lignes incendiaires.