Le cinéma X impose la tyrannie du sexe:Bilan de la surexposition de l'intime

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Le cinéma X impose la tyrannie du sexe:Bilan de la surexposition de l'intime

4 juillet 2002
Dans son remarquable essai, "Le Consensus pornographique", le journaliste français Xavier Deleu analyse l’invasion de l’obscène dans notre espace quotidien
Publicité, littérature, télévision, réseau Internet : partout, l’imagerie issue du cinéma X façonne notre désir et nos fantasmes. Une sexualité devenue consommation de masse et jouissance immédiate à l’opposé du message des Ecritures. Chic ou dévoyé, le porno est partout. Omniprésente dans la publicité, l’imagerie sexuelle se double même d’une étonnante perversité dans les spots des créateurs de mode et de parfumerie de luxe. Cinéma et littérature ne restent pas à l’écart de cette surenchère de l’obscène, du récent film à scandale "Irréversible" aux confessions très tendance de Catherine Millet. Quant à la « TV réalité », les programmes annoncés pour cet été montrent que le pire est à venir.

Bref, comme l’explique le journaliste Xavier Deleu dans son essai "Consensus pornographique" (éd. Mango Document, 2002), « cette ambiance visuelle hyper-érotisée, n’est plus seulement suggestion, mais exhibition agressive d’images sexuelles. (...) La société occidentale se voit animée d’une vibration collective autour de la représentation massive, systématique, consensuelle des choses du sexe ».

§L’image tient lieu d’éducationNous vivons à l’ère de l’hégémonie du visuel, flot ininterrompu d’images qui nous accompagnent dans la rue, à la maison, sur l’ordinateur du bureau. Et si l’image est émotion, celle-ci concerne de plus en plus souvent le dessous de la ceinture. Pour Xavier Deleu, cette surexposition de l’intimité des corps ne demeure pas sans effet sur notre rapport au plaisir : « La continuité iconographique de la publicité, du cinéma, de la pornographie et d’Internet constitue la matrice de la figuration actuelle du désir, du plaisir et de la sexualité humaine, bien plus que l’éducation familiale ou scolaire ».

Pour beaucoup, il s’agit d’une transformation majeure de la vie privée et publique des Occidentaux, vers une libido désormais largement affranchie de l’éthique et des représentations judéo-chrétiennes. Sociologues, pédagogues et psychiatres parlent beaucoup des effets de ce perpétuel « teasing » érotique, de cette saturation de l’espace public par la mythologie du cinéma X : crise du couple et de la masculinité, addiction au cyber-sexe ou à la prostitution, libidos de moins en moins satisfaites.

Selon les données les plus récentes, un adolescent français sur deux regarde son premier film porno avant 14 ans. Certains spécialistes s’alarment de constater chez les jeunes une violence sexuelle très précoce, un langage et des comportements de plus en plus brutaux. Insultes sexistes, attouchements et viols collectifs se multiplient. Erigée en principe axial du bonheur individuel et collectif, la jouissance immédiate et sans frein sonne le grand retour de la femme objet et du machisme triomphant. L’érotisme, note Xavier Deleu, se voit « totalement intégré à une logique marchande ; la sexualité assimilée à la consommation de masse tandis que le désir est devenu un concept et un produit ».

§Quelle réponse de la part de l’Eglise ?Pour le philosophe André Comte-Sponville, entre une morale de la culpabilité et un immoralisme coupable, « il reste à inventer une éthique de l’amour et de la responsabilité ». Quel peut être l’apport des Ecritures dans ce domaine ? Comment, aujourd’hui, aborde-t-on ces questions dans les églises ? Formateur d’adultes et thérapeute, Jean-Marc Noyer anime avec Madeleine Ruedi-Bettex, médecin, des journées de réflexion sur la sexualité et le couple au centre neuchâtelois du Louverain. Il rappelle qu’il n’existe pas de position univoque de la communauté protestante, que le discours sur un sujet aussi personnel ne peut être que multiple. « De manière générale, on essaie de dépasser la casuistique qui interdisait par exemple tout contact charnel avant le mariage, pour évoquer les valeurs éthiques, la responsabilité individuelle. Il s’agit de permettre aux gens de trouver leur cohérence à partir de certains principes ».

Pour reprendre le propos de l’auteur du "Consensus pornographique", il faut constater une complète sécularisation de la pratique amoureuse dans nos pays, « en rupture avec les antiques déterminations religieuses du licite et l’illicite ». Respect de l’autre, amour du prochain : le message de l’Evangile consiste à ne pas séparer l’acte physique du sentiment. « Quand on voit ce que les adolescents expriment sur les filles, à travers des propos parfois très crus, il paraît important de leur rappeler la dimension fondamentale de la relation entre un homme et une femme », raconte Corinne Cochand, pasteure à Fleurier. Pour Isabelle Ott-Baechler, présidente du Conseil synodal neuchâtelois, l’institution ne cultive pas de tabous dans ce domaine. « Mais il est clair que son message tranche avec le discours dominant. Notamment avec la vision du corps comme temple de l’esprit qui induit que le comportement sexuel ne peut être séparé d’une certaine conception de la vie et des rapports humains ».

En est-il de même dans les coeurs ? « Certains ministres se sentent peut-être comme certains praticiens : guère autorisés à pénétrer dans l’intimité des gens, quand bien même ces derniers le souhaiteraient secrètement », note Madeleine Ruedi-Bettex. En quinze ans de paroisse, Corinne Cochand avoue pour sa part n’avoir répondu qu’à deux questions de sexualité. Autant dire que des thèmes comme la pornographie ou la prostitution, qui posent pourtant certaines questions aux croyants, peinent encore à être abordés ouvertement.