Questions autour du pavillon « Oui !» d’Expo.02 :Le mariage à bien plaire fait sauter l’union à vie

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Questions autour du pavillon « Oui !» d’Expo.02 :Le mariage à bien plaire fait sauter l’union à vie

5 juillet 2002
Un pavillon pour se dire - ou se redire - « oui ! », c’est la mise en scène proposée sur l’arteplage d’Yverdon
Les couples prennent un engagement pour 24 heures. Alors que le nombre des mariages recule, Expo.02 suscite une réflexion sur le couple et le sens des relations amoureuses. Retour sur une évolution qui remet en cause l’interprétation traditionnelle d’une institution sociale encore très forte. Tour d’horizon avec quelques spécialistes.

Le pavillon d’Expo.02 dérange. Ici « toi et moi », c’est pour 24 heures. « Etes-vous prêts ? » demande le jeune homme derrière son pupitre. La question surprend le couple appenzellois, déjà âgé et visiblement très « Suisse profonde ». Le mari acquiesce en rigolant, son épouse est plus sceptique. Il insiste et elle cède : « S’il le faut ! ». Ils reçoivent un ticket avec l’heure de passage pour entrer dans « Oui ! Toi et moi pour 24 heures ». Quelques mètres plus loin, avec d’autres couples de tous âges, ils attendent leur tour.

Longue colonnade fluo, couleur blanche omniprésente : l’aménagement du site fait visiblement référence aux cérémonies de mariage traditionnelles, aussi bien civiles que religieuses. Issu de la cuisine de Pipilotti Rist, le projet a longtemps été contesté. Mais la direction d’Expo.02 s’est battue pour le maintenir. Quitte à le faire changer de nom : le « Pavillon des mariages » s’est réduit à un « Oui ! » plus soft et politiquement correct.

§Communauté de consommationDès l’entrée, une affiche prcise: il s’agit de prendre rendez-vous avec une personne, et une seule. L’expérience se vit exclusivement en couple., mais chacun est libre de choisir son partenaire. Deux personnes de même sexe peuvent entrer bien sûr, mais aussi une grand maman avec sa petite fille ou deux amis. « Chacun donne le sens qu’il veut à cette démarche, explique Jacqueline Forster, porte-parole d’Expo.02. Nous n’avons pas voulu mettre de restrictions. »

Structure fondamentale de la société, le couple se définit désormais lui-même. Il se choisit et fixe les raisons, les formes et les critères de son existence. Pour l’ethnologue Kathrin Oester, les « rails contrôlés par la société » pour guider l’union de deux êtres tendent à disparaître. Chacun se fabrique une relation sur mesure. On invente de nouvelles formes de vie commune, on réinterprète à sa façon les normes autrefois imposées. Le couple devient une simple communauté de consommation où les partenaires partagent des envies et des plaisirs communs. Voilà pourquoi la cérémonie de mariage tend à se réduire à un événement, lui aussi, à consommer. En fait, un produit allégé que l’on adapte au gré de ses besoins : un mariage à durée limitée.

§Juste pour une tranche de vieA l’Expo, la tranche de vie se réduit à quelques heures. En bout de plate-forme, les couples ressortent chacun avec le morceau d’une baguette de couleur, sorte de bâtonnet de lumière qui va briller 24 heures. Jaqueline Forster justifie : « Comme l’Expo est limitée dans la durée, nous voulions proposer une démarche qui corresponde à cette dimension provisoire . Mais rien n’empêche les visiteurs de donner une perspective plus large à leur expérience. Avec mon époux, nous sommes venus y fêter notre anniversaire de mariage. »

Le mariage juste pour une étape de l’existence. En Suisse alémanique, l’idée fait son chemin et entre dans les mœurs. De plus en plus de couples se présentent publiquement comme « partenaires pour une tranche de vie ». L’ethnologue bernoise Katrin Oester y voit les conséquences du mode de vie moderne : l’augmentation des divorces, la mobilité professionnelle obligent à recommencer plusieurs fois sa vie. De ce fait, les liens traditionnels du mariage vont à l’encontre de la flexibilité exigée par le marché du travail.

D’après Ursula Chatelain, conseillère conjugale du Centre social protestant Berne - Jura, le modèle n’est pas encore entré dans les mœurs. « En tout cas pas à la campagne. Les séparations ne sont jamais banales : les couples ont autant de peine à se quitter qu’à rester ensemble. C’est donc bien que les liens se forment généralement pour durer. » Laurence Bachmann, sociologue spécialiste des rapports sociaux entre les sexes, approuve : « La norme du mariage hétérosexuel reste très forte, même si les pratiques concrètes se diversifient. »

§Pour le meilleur et pas vraiment pour le pireLe mariage devient-il un produit de consommation facile ? Pas forcément. Sur le pavillon d’Expo.02, l’engagement n’est jamais anodin. Quand ils arrivent seuls, les visiteurs répugnent à se trouver un ou une partenaire d’occasion. Jacqueline Forster confirme : « Dans les équipes de l’arteplage, les collègues disent souvent vouloir aller dans ‘Oui !’, mais ils en repoussent constamment l’échéance. » Les individus continuent d’investir fortement le lien qui les unit.

Pour Ursula Chatelain, les couples idéalisent l’état amoureux : « Ils sont aujourd’hui très fusionnels. Toute la relation repose sur l’affectif, précise la conseillère conjugale. En fait, on demande trop à l’amour. » Quand la relation devient plus compliquée et moins idéale, alors on se quitte. D’autant plus facilement que les barrières sociales qui freinent l’hypothèse d’une séparation ont été levées. « Autrefois, on se mariait pour le meilleur et pour le pire. Aujourd’hui, c’est pour le meilleur et plus du tout pour le pire », remarque la sociologue Laurence Bachmann. Les individus se bricolent de petits contrats, souvent provisoires, pour se ménager une porte de sortie. On assiste à l’émergence de nouvelles formes conjugales : couples de même sexe, partenariat pour une tranche de vie, cohabitation de plusieurs couples…

§Dilemme pour les EglisesDans certaines Eglises, des voix se font pourtant entendre pour proposer de nouvelles formes de rituels, plus adaptés à cette réalité. « Il n’y a pas de vérité révélée sur ces questions, note un routinier du conseil conjugal en Eglise. Pour nous, le sens vient de ce que les gens vivent. » Il s’agit en fait de permettre aux gens de donner une dimension spirituelle aux divers moments clefs de leur parcours. Le temps des règles générales, valables dans toutes les situations, semble révolu.

Néanmoins, le pasteur Claude Schwab, formateur des enseignants, regrette cette société de l’instantané. « On ne peut pas faire rimer amour avec un jour ! » prévient-il. « Pour moi, la dimension de durée est fondamentale. C’est une donnée essentielle du mariage à l’église. » En défendant le mariage aussi comme une exigence, les Eglises pourraient entrer en résistance. « La stabilité affective est très importante, souligne Claude Schwab. Les couples qui durent ont dépassé le feu des premiers élans et peuvent construire une connivence. On arrive à parler des défauts de l’autre tout en reconnaissant qu’on tient à lui. » Dans une société du tout affectif, le théologien voudrait que l’Eglise trouve le courage de maintenir une dose de normatif. Sans revenir à l’ancien moralisme, le mariage entraîne une exigence bonne à vivre. C’est le sens des promesses échangées devant Dieu : « Il faut avoir le désir de tenir, même si cela peut foirer. Bien sûr que le mariage n’est pas le seul modèle. On peut aussi être heureux en restant célibataire, ou en vivant encore autrement. Mais si on choisit ce modèle, alors il faut être cohérent. » Avant de conclure avec Brassens : « Je n’ai vu qu’un seul arbre, mais je l’ai vu. »

La mise en scène d'Expo.02 fait écho à cette conclusion. Au sortir du pavillon, au bas de quelques marches, une comédienne accueille le couple sous les applaudissements des badauds. Il leur propose alors de leur racheter les bâtonnets qu’ils s’apprêtent à emporter en souvenir. « Certains me les vendent pour 20 francs, explique la jeune fille de l’Expo. Alors je leur prends leurs bâtonnets, mais je ne leur donne rien en retour. Ça les fait réfléchir ! » Fait rassurant : la plupart des couples ne veulent donner leur symbole pour rien au monde. Ils quittent alors le pavillon du « Oui ! », tout sourire, avec la connivence de ceux qui ont vécu quelque chose d’important.