Hauts-lieux du protestantisme en Suisse romandeLes touristes largués

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Hauts-lieux du protestantisme en Suisse romandeLes touristes largués

12 juillet 2002
Chaque année, plus de 400 000 personnes visitent la cathédrale Saint-Pierre à Genève
Pour les recevoir et les informer, rien ou presque! A Genève comme à Neuchâtel, berceau du protestantisme réformé, l’accueil des touristes est quasi inexistant. Infrastructure insuffisante, documentation dépassée, les visiteurs sont laissés à leur perplexité. Consternant. Une lacune qui devrait être comblée par quelques projets, notamment par une pastorale des touristes. Reportage.En flot continu, souvent par cars entiers, les touristes affluent pour visiter l’église dans laquelle Calvin a prêché. Posté derrière quelques tables recouvertes de livres défraîchis, le gardien explique: «Ils arrivent de tous les pays. Mais il y a de plus en plus d’Asiatiques, notamment des réformés de Corée qui viennent en pèlerinage.» Pourtant rien n’est sérieusement aménagé pour les recevoir. Aux visiteurs d’Europe du Sud qui esquissent un signe de croix répond le vide et l’austérité d’une cathédrale sans explications. Avec un peu de chance, le visiteur découvrira, coincée au pied d’une colonnade, la fameuse chaise du Réformateur. Tout au fond de l’édifice, un petit panneau jauni égraine quelques dates essentielles de l’histoire du protestantisme. Ambiance figée à l’image des pires préjugés qu’on peut entretenir sur le calvinisme.

§Tartufferie calvinisteMême si les prospectus généreusement distribués par l’Office du tourisme genevois regorgent d’images de la cathédrale et du mur des Réformateurs, il faut se rabattre sur la visite guidée pour en apprendre un peu plus. «Comme pour Jean-Jacques Rousseau, nous n’avons pas grand chose à offrir aux personnes qui seraient intéressées par la Réforme», regrette la guide officielle. Et le problème est ancien: la maison de Jean Calvin a été détruite en 1706 pour être remplacée par un hôtel particulier. Du côté de l’auditoire de Calvin, le responsable des lieux reconnaît sans complexe: «J’ai dû recoller les portraits de Calvin qui tombaient en lambeau et les feuilles informatives (glissées dans une simple fourre de plastique) datent de… 1985.» Avant d’ajouter: «Mais vous savez, ce n’est pas Disneyland, ici!»

Austérité protestante ou refus de prendre en compte le développement d’un tourisme de masse, notamment sur les sites historiques? Manifestement les résistances sont fortes. «Il y a bien sûr cette vieille tartufferie calviniste: un bon protestant est un protestant honteux», dénonce le pasteur de la cathédrale, Vincent Schmid. Mais au-delà de cette retenue toute réformée, il faut reconnaître que dans les églises, les touristes dérangent plus qu’autre chose. «Nous avons peur d’être submergé, reconnaît Vincent Schmid. Il faut que le lieu reste prioritairement destiné au culte. Nous ne voulons pas nous retrouver sur des strapontins.»

§Ouvert pour cause d’ExpoA Neuchâtel, Expo.02 oblige, un programme d’accueil et des animations culturelles sont organisées au Temple du Bas. «C’est l’occasion d’essayer d’ouvrir l’endroit, annonce le pasteur Jean-Luc Parel. J’essaie de passer chaque jour pour rencontrer les visiteurs.» Pourtant, aucune information n’est à disposition sur Guillaume Farel ou même du pasteur Jean-Frédéric Osterwald, figure incontournable du XVIIIe siècle neuchâtelois.

Même carence à la Collégiale: pas une indication à mettre à la disposition de cette jeune Italienne qui regarde, en se frottant le menton, la statue d’un Farel qui tient sa Bible à bout de bras. Dans l’édifice, un carton plastifié, réalisé par l'administration de la ville, en reste aux données architecturales. A l’office du tourisme, on explique que le sujet n’intéresse personne: «Et nous devons faire une information neutre», prévient la responsable. D’ailleurs, les services du tourisme neuchâtelois ont refusé d’intégrer les informations des Eglises dans leur matériel d’info en marge d’Expo.02. A la Collégiale, les touristes méridionaux, qui reviennent de l’arteplage, continuent de se demander ce que ce fameux Farel a pu bien faire de si remarquable pour qu’une plaque accrochée dans la travée s’exclame: «Guillaume Farel, Gloire à Dieu».

Une situation que regrette le jeune pasteur de la Collégiale neuchâteloise, Christophe Kocher: «Je viens d’être embauché, notamment pour lancer une pastorale des touristes. Nous sommes en train de constituer un groupe de bénévoles pour assurer une permanence d’accueil.» Deux axes pour ce nouvel engagement: apporter des informations et aussi offrir une possibilité de dialogue. «Nous devons mieux profiter de ces lieux chargés d’histoire, argumente Christophe Kocher. C’est une chance à saisir, aussi pour démonter certains préjugés qui colle à l’image du protestantisme.» L’idée fait son chemin. On comprend qu’une meilleure visibilité de l’Eglise est à ce prix.