Gabrielle Nanchen sur les chemins de Compostelle : La solitude, la panique et puis la confiance retrouvée

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Gabrielle Nanchen sur les chemins de Compostelle : La solitude, la panique et puis la confiance retrouvée

25 juillet 2002
Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à se lancer sur les chemins de Compostelle ? Est-ce l’exploit qui motive les pèlerins, ou bien une quête intérieure ? Gabrielle Nanchen a fait seule la route depuis le Puy-en-Velay, 1600 kilomètres en 3 mois avec son barda sur le dos, en partie le long de la côte atlantique espagnole, à l'écart de l'itinéraire habituel des pèlerins
Un défi qui lui a permis de surmonter beaucoup de ses peurs et d'envisager plus sereinement de marcher vers le déclin de la vie. Quand tout semblait l’abandonner, le chemin se dérober, elle a découvert la confiance qui apaise le cœur et affermit le pas. Témoignage.L’enclos de Valère, dans le vieux Sion, une oasis à l’ombre des ruines de Tourbillon et d’un clocher de pierre sèche : C’est l’endroit que Gabrielle Nanchen a choisi pour parler de son chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Elle sort son carnet de pèlerin, dérisoire preuve d’un itinéraire qui implique le dépassement de ses limites physiques et psychiques et dont on revient transformé, comme habité de l’intérieur.

§Dans quel état êtes-vous partie?Je suis partie en pèlerinage bardée de peurs et très vulnérable: j'avais peur de me faire agresser, peur de la solitude. Peur aussi de me perdre. Peur de craquer. J’ai connu des moments de panique, par exemple lorsque je me suis retrouvée sur le sentier le long des Pyrénées qui relie St-Jean-Pied-de-Port à l'océan et qu'aucun pèlerin n'emprunte. Pas âme qui vive sur cet étroit passage, juste les vautours au-dessus de ma tête. J’avais l’impression d’être seule en haute montagne, ce qu’il ne faut jamais faire, tout montagnard le sait. Et mon portable, bien sûr, ne marchait pas. Etais-je sur le bon chemin? J’ai paniqué et appelé intérieurement au secours. Au moment où je me croyais abandonnée de tous, j’ai rencontré trois Anglais qui descendaient et m'ont rassurée. Je n’étais pas loin d’un plateau où paissaient des petits chevaux en liberté. Un peu plus haut, j'ai soudain découvert un paysage qui m'a coupé le souffle : le bleu du ciel n'en finissait pas, il ne s'arrêtait que beaucoup plus bas que la ligne d'horizon le long d'une étroite bande blanche. Non, je ne me trompais pas. C'était bien la côte des Landes ! C'était bien l'océan qui s'offrait à ma vue !

§Qu’est-ce qui vous a incitée à faire ce pèlerinage ?§ C’était un vieux projet que j’ai mis huit ans à mûrir. Je me disais que je partirais quand les enfants n’auraient plus besoin de moi et quand mon travail m'en laisserait le temps. Au cours d'un voyage de repérage, j'ai rencontré au col de Roncevaux une femme, plus très jeune, qui faisait le pèlerinage. La joie rayonnait sur son visage. Elle m'a vraiment donné envie de me mettre en route.

§Le chemin de Compostelle est-il un parcours mystique?Le chemin de Compostelle est à l’image de la vie. C’est une longue marche vers l’ouest, vers le déclin du soleil. Alors qu'on est désespéré, qu'on n'a plus la force de marcher, des réponses nous viennent, pas forcément celles qu’on attendait, mais qui nous donnent la force de poursuivre notre route. Pour moi, ces signes qui m’étaient donnés alors que j’avais perdu courage, ne sont pas le fait du hasard. Je me souviens du jour où j'ai traversé une forêt dans le pays basque espagnol, dont le guide disait qu'il valait mieux ne pas s'y aventurer seul parce qu'il était facile de s'y perdre. La pluie fine qui m'accompagnait depuis le matin est tout à coup devenue torrentielle. En quelques minutes, le chemin asphalté s'est transformé en ruisseau. Les sapins hauts et denses autour de moi, pas le moindre abri, j'avais peur. Après trois ou quatre kilomètres, les pieds nageant dans les chaussures, j'arrive à une bifurcation. Trois directions s'offraient à moi et pas la moindre balise. Tout à coup, j'ai vu surgir du brouillard un jeune homme en survêtement qui m’a indiqué la bonne voie. J’ai commencé à comprendre que je pouvais avoir confiance, qu'il suffisait d'attendre que le chemin que le chemin se révèle à moi. C'était un peu la même confiance que celle du plus jeune de mes enfants, lorsque, petit, il se jetait d'un mur dans le vide en criant "Maman!", tellement sûr que j'ouvrirais les bras à temps pour le recevoir.

§Qu’est-ce qui vous a fait avancer ?Le bonheur des petits gestes quotidiens, se coucher fourbue le soir, boire à sa gourde quand on a vraiment soif, voir le soleil se lever, respirer le parfum des fleurs, entendre les oiseaux qui se répondent dans le petit matin ou un essaim d’insectes qui vous frôle l’oreille. Découvrir une légèreté qu’on ignorait jusqu’alors, que j’appelle la joie. C’est elle qui nous fait marcher.

§Vous avez été contente d’arriver au but ?Plus je me rapprochais du but, plus j’avais envie qu’il recule. J'ai vécu un étonnant paradoxe : exténués parfois, je comptais les jours tout le long du périple, et à trois jours de l’arrivée, je n'avais plus envie de m'arrêter. Tout le monde le sait, la marche est comme une drogue, non seulement elle libère des endorphines, mais nous délivre aussi du poids des soucis quotidiens. Or le poids de la vie, en pèlerinage, se résume à un sac à dos de 18 kilos, auquel on s’habitue très vite.

§Difficile de reprendre la vie normale ?Il faut reprendre les pesanteurs et faire son deuil du chemin. Certains pèlerins ressententune sorte de dépression qui s’apparente au baby blues des jeunes mères, lesquelles regrettent soudain l’état bienheureux de la grossesse, quand bien même elles ont aspiré à être délivrées.

§Quel bilan faites-vous de ce pèlerinage ?C’est l’une des plus belles choses que j’aie faites dans ma vie. J’ai appris la patience qui permet de tenir le coup. J’ai pris conscience que beaucoup de mes peurs devenaient sans objet au fur et à mesure que je marchais, et que, de toutes façons, elles ne devaient pas être prétexte à ne pas avancer. Ma foi est redevenue cette confiance d’enfant que j’avais autrefois. J'ai appris à me trouver bien avec moi-même. Cette marche mythique vers l’ouest, vers la mort en quelque sorte, m’aide à vivre mon cheminement vers la vieillesse. La mort, ce n'est peut-être pas si différent d'un coucher de soleil, ça promet autre chose.