Résilience en milieu carcéral: quand les criminels surmontent leurs propres traumatismes

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Résilience en milieu carcéral: quand les criminels surmontent leurs propres traumatismes

5 septembre 2002
Pas toujours facile de garder ou de retrouver l’envie de vivre lorsqu’on a commis un délit, que l’on fait de la prison, que l’opprobre rejaillit sur ses proches
Parce que les «bourreaux», comme les victimes, ont parfois besoin de trouver en eux-mêmes les ressources qui leur permettront de faire le choix de vivre, la résilience en milieu carcéral constituait le thème central de la rencontre internationale des aumôniers de prison qui s’est tenue à Genève du 29 août au 1er septembre derniers.La résilience, cette capacité à surmonter de très graves difficultés et à se projeter dans la vie en faisant appel à ses propres ressources, ne serait donc pas uniquement le fait des victimes, mais aussi de leurs agresseurs. D’après Anne-Christine Menu, pasteure et aumônière à la prison genevoise de Champ-Dollon, nombreux sont les détenus qui, avant de devenir des criminels, ont subi de graves traumatismes: «Lorsqu’ils viennent à l’aumônerie, ils racontent leur histoire, parfois pour la première fois, et on réalise qu’ils ont vécu des choses terrifiantes. C’est particulièrement vrai pour les réfugiés: je me souviens d’un jeune Africain qui avait vu sa mère se faire abattre en pleine rue lorsqu’il était enfant, alors qu’elle le tenait par la main. C’est pareil pour les «boat people» qui arrivent d’ex-Yougoslavie, ils ont vu des gens se noyer et d’autres mourir sur ces vieux rafiots bondés.» Pour la plupart, ces gens n’ont jamais eu l’occasion de voir un psychothérapeute et d’exprimer les chocs émotionnels qu’ils ont subis avant de se retrouver derrière les barreaux.

§Le poids du délitQuel que soit leur passé, les détenus doivent vivre avec le poids du délit qu’ils ont commis. « Certains sont tellement enfermés dans leur culpabilité qu’ils se demandent comment ils vont pouvoir continuer à vivre après cela », relève le sociologue Stefan Vanistendael. Un désespoir auquel il n’existe pas toujours de remède, car « on peut accompagner un processus de résilience, mais pas le provoquer », affirme Anne-Christine Menu. C’est en lui-même que le résilient doit découvrir les ressources qui lui permettront de retrouver le goût de vivre. Lors de ses entretiens, Anne-Christine Menu a notamment accompagné un jeune homme qui avait tué sa compagne au cours d’une dispute. «Les premiers mois de son incarcération se sont très mal passés, il était au bord du suicide. Et un jour, il m’a dit qu’il avait fait le choix de vivre, avec ce poids énorme qu’il devrait porter toute sa vie. Sa manière d’assumer sa culpabilité et de demander pardon a été de ne pas faire appel à la suite du jugement. Il avait pourtant été condamné à une très lourde peine.»

Les résilients ne sont pourtant pas tirés d’affaire une fois pour toute, et de ce point de vue, la prison n’améliore pas les choses. « La résilience est un temps au cours duquel on voit une personne se développer, s’épanouir de manière extraordinaire et, idéalement, c’est à ce moment qu’elle devrait pouvoir sortir du système carcéral, car il y a un risque que les années de prison le fassent replonger dans la haine, la colère ou la tristesse », souligne Anne-Christine Menu.

Au-delà des problèmes de conscience que rencontrent certains détenus, les obstacles qu’ils doivent affronter pour reconstruire leur vie avec un casier judiciaire constituent des entraves supplémentaires à une démarche de résilience. Pour aider les détenus, Stefan Vanistendael estime qu’il faut être lucide et surtout ne pas minimiser leurs actes, ni les difficultés qui les attendent: « Il faut être conscient que cela ne sera peut-être jamais facile, mais qu’il vaut tout de même la peine de reconstruire sa vie ».

§De la résilience à la conversionLorsqu’un détenu entame un processus de résilience, la réussite n’est donc jamais garantie. Les lettres de pardon que certains écrivent à leur victime ou à sa famille, l’écoute qui leur est offerte par les aumôniers, les visiteurs bénévoles ou les psychothérapeutes sont autant d’éléments qui peuvent les aider à retrouver une certaine dignité, mais les éléments qui rétabliront leur envie de vivre n’existent qu’en eux-mêmes. Comme le souligne Anne-Christine Menu: « On ressent parfois un sentiment d’impuissance, mais aussi d’humilité. On ne peut pas tout maîtriser. Cela dit, quand quelqu’un devient résilient et réussit à changer de regard sur lui-même, c’est merveilleux, c’est comparable à une conversion ».