Publication dirigée par un Lausannois:Les Ecrits apocryphes chrétiens sortent de l'ombre

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Publication dirigée par un Lausannois:Les Ecrits apocryphes chrétiens sortent de l'ombre

20 septembre 2002
Une équipe emmenée par Jean-Daniel Kaestli, directeur de l’Institut romand des sciences bibliques de l’Université de Lausanne, met la dernière main à l’édition critique du second volume des Ecrits apocryphes chrétiens publié dans la Pléiade
Un travail immense qui permet de redécouvrir une quarantaine de textes que le silence canonique avait fait taire au 4e siècle, mais dont la piété populaire n’a pu se passer. L’art pour sa part y a puisé un prodigieux foisonnement d’images. Ces écrits aux origines énigmatiques divisent les chercheurs et pique la curiosité contemporaine. Petit tour d’horizon des évangiles « cachés », dont l’Evangile de Marie, attribué à Marie de Magdala, hélas trop méconnu du grand public.Très populaires aux premiers siècles de l’ère chrétienne, les écrits apocryphes ont survécu tant bien que mal à une sévère mise à l’index et nous sont parvenus parfois de façon très fragmentaire et le plus souvent dans une autre langue que celle d’origine. A l’époque de leur parution et dans les temps qui ont suivi, ces livres ont connu un tel succès qu’ils furent traduits en plusieurs langues. On ne les trouvait pas seulement dans leur langue d’origine, très souvent le grec, mais encore en latin, en syriaque, en arménien, en copte, en géorgien, en arabe et en éthiopien.

Reprenant souvent et développant les données des textes canoniques, ces récits cachés avaient pour but de propager la foi, de nourrir la piété d’un très large public, d’éclairer et d’approfondir les données de l’Ecriture, de combler ses silences, de rappeler à tous la sollicitude de Dieu qui guérit, redresse et affermit les hommes.

Pour évangéliser le plus grand nombre, la parole s’était faite voyageuse, s’imprégna des traditions locales, s’enrichit de récits et de commentaires, mais aussi d’histoires à dormir debout. Elle devint foisonnante et multiforme, embrassant des genres littéraires très différents. Des détails surgirent: bien malin qui peut dire aujourd’hui ce qu’ils doivent à l’imagination d’un prosélyte ou à la fidélité d’un témoin indirect.

§Le Canon des livres saints Dès les années 300-400, les dirigeants des communautés chrétiennes, évêques et clercs, gênés par la liberté de ton, la verve romanesque ou les méditations gnostiques de ces textes, se mirent à les considérer comme peu fiables et mensongers et choisirent de les écarter. En fait, estime Jean-Daniel Kaestli, professeur et directeur de l’Institut romand des sciences bibliques de l’Université de Lausanne, ce sont les communautés qui les lisaient et s’y référaient qui étaient suspectes aux yeux des responsables de l’Eglise ancienne. Ils établirent peu à peu une liste exclusive des textes agréés, autrement dit le Canon, tel qu’il est fixé par exemple dans un texte d’Athanase d’Alexandrie, daté de 367. Tous les autres textes, qui n’étaient plus en odeur de sainteté, furent définitivement balayés au 6e siècle par le Décret dit de Gélase. A la Réforme, un nouveau tri sera opéré par les protestants.

La littérature apocryphe était donc doublement condamnée à disparaître. Mais les livres à succès ont la vie dure. On continua en catimini à lire des textes apocryphes parce qu’on les aimait bien, d’autres récits furent remaniés, expurgés, parfois réécrits jusqu’à en être défigurés. « Ils ne sont parvenus à traverser les siècles qu’au prix d’amputations, de modifications, de versions librement conçues, de réécritures, constate Daniel Marguerat dans un ouvrage collectif intitulé « Le Mystère apocryphe » (Labor et Fides).

§Comment s’y retrouver?Les différents types de transmission et de réception des écrits apocryphes chrétiens permettent aujourd’hui aux chercheurs d’opérer un premier classement dans la masse des documents qui nous sont parvenus. D’un côté, on trouve des apocryphes intégralement conservés et largement répandus dans les diverses parties de la chrétienté. Tel est le cas, justement, du Protévangile de Jacques, qui date de la fin du 2e siècle et qui avait pour titre à l’origine « Nativité de Marie ». On y trouve le récit de la naissance de la Vierge Marie, de son enfance et de l’enfantement miraculeux de Jésus. Ce texte était si populaire qu’il a survécu en grec dans 150 manuscrits différents et qu’il n’a cessé de nourrir le culte marial.

Le récit du procès de Jésus et de sa descente aux enfers nous a été transmis par l’Evangile de Nicodème, également appelé « Actes de Pilate ». Ses origines sont si complexes quelles défient la recherche contemporaine au point que, malgré des décennies de travail, il est actuellement encore impossible de donner une vue d’ensemble des métamorphoses subies par ce texte au cours des siècles.

A l’autre extrême, il y a des évangiles apocryphes entièrement ou presque perdus, dont d’anciens témoignages font mention, comme l’Evangile des douze apôtres, mentionné par Origène.

§Les paroles de Jésus selon l’évangile de ThomasCertains textes enfin nous sont parvenus, intégralement ou presque, grâce à une découverte fortuite assez récente. C’est le cas des manuscrits coptes exhumés en 1945 près de Nag Hammadi en Haute-Egypte, dont certains sont attribués à des disciples de Jésus. Ainsi, à côté des Evangiles autorisés de Matthieu, Marc, Luc et Jean, on connaît aujourd’hui ceux de Philippe, Pierre, Barthélémy et Thomas. Ce dernier Evangile, véritable recueil de 114 paroles de Jésus mises bout à bout sans explication narrative, serait, selon certains historiens, antérieur à la rédaction des textes canoniques et donc indissociable de l’étude de la composition de ces derniers. Son ancienneté fait l’objet de très vifs débats, notamment aux Etats-Unis. Ces textes, qui ont des affinités avec le gnosticisme, contribuent à renouveler de manière décisive notre connaissance de ce courant religieux très influent dans le christianisme du 2e siècle. Ils nous font connaître des interprétations fort anciennes des paroles et des actes de Jésus, typiques de communautés chrétiennes influencées par la religiosité du monde païen et par la pensée gnostique.

« Leur apport ne s’arrête pas là, explique Jean-Daniel Kaestli, certains d’entre eux, comme l’Evangile de Thomas, le Dialogue du Sauveur et l’Epître apocryphe de Jacques, viennent enrichir le fonds des paroles extra-canoniques de Jésus et fournissent de nouveaux parallèles qui aident à comprendre comment les paroles de Jésus ont continué à être transmises et interprétées de façon autonome jusqu’au milieu du 2e siècle, bien après la mise par écrit des évangiles canoniques ».

Pour le professeur lausannois, ces évangiles n’entretiennent pas avec les écrits bibliques une relation d’opposition et de concurrence. Ils sont nés avant tout d’un besoin d’éclairer l’Ecriture et d’en rechercher le sens. Ils en font en quelque sorte l’exégèse, en donnent une interprétation, à la façon du midrash juif. Pour aborder ces textes aux registres et aux genres très contrastés, il est donc indispensable de connaître la Bible dont ils sont un complément et un commentaire souvent inspiré par le souffle vif de la foi.