Marek Halter, Ghaleb Bencheik et Shafique Keshavjee au Centre Dürrenmatt :Dialogue sur le Proche Orient

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Marek Halter, Ghaleb Bencheik et Shafique Keshavjee au Centre Dürrenmatt :Dialogue sur le Proche Orient

11 novembre 2002
Le Centre Dürrenmatt, bondé, accueillait vendredi soir un débat sur le conflit israélo-palestinien
Les trois célèbres représentants des religions abrahamiques n’ont pas proposé de solution miracle, mais livré de belles réflexions sur l’accueil de l’autre et l’instrumentalisation coupable des textes fondateurs. Extraits. Il y avait foule, vendredi soir sur les hauteurs de Neuchâtel, dans la grande salle du Centre Dürrenmatt. Comme si chacun attendait des trois célèbres intellectuels invités à débattre du conflit israélo-palestinien l’étincelle d’une solution. Illusion bien sûr, comme le regrette Marek Halter, le célèbre militant juif pour les droits de l’homme et fondateur de SOS racisme : « Ici, autour de cette table, nous partageons les mêmes valeurs, un espoir identique de voir cesser toute cette violence. Mais nous sommes loin de partager la douleur de ceux qui se regardent face à face, là-bas ».

§Laisser Dieu de côtéPas de proposition miracle, donc, durant cette soirée qui a débuté avec la lecture par le comédien Charles Joris du très beau conte de Friedrich Dürrenmatt « Abu Chanifa et Anan Ben David ». Un récit qualifié de « fantastique » par l’écrivain suisse lui-même, où enfermés dans un cachot par un calife, le rabbin et l’exégète musulman entament l’impossible dialogue pour finir par reconnaître le même Dieu dans le visage de l’autre. Les propos des intervenants font écho à la vision du dramaturge qui s’est beaucoup préoccupé de la question juive, lorsqu’ils proposent comme prémisse à tout arrêt des hostilités de laisser tomber Dieu, ou plus exactement ce que la théologie lui fait dire sur le droit d’occupation de cette région du Proche-Orient.

Ghaleb Bencheick, musulman, vice-président de la Conférence mondiale des religions pour la Paix : « Laisser Dieu de côté. C’est le croyant qui le dit. Dieu n’a pas donné de primauté sur la terre. La terre n’est pas sanctifiée. C’est donner la main à l’autre qui est un comportement sain. Aimer Dieu ne peut se comprendre sans aimer l’humanité ». Marek Halter le rappelle : Dürrenmatt fut à ses côtés pour organiser à Genève la première rencontre entre intellectuels arabes et juifs au lendemain de la Guerre des 6 jours, en 1968. Depuis lors, le problème n’a pas tellement changé. « Même Jérusalem peut être partagée, pas Dieu. En Orient comme dans les trois religions monothéistes, le rêve est important. Or Israéliens et Palestiniens n’entretiennent pas le même rêve pour ce petit territoire balayé par le souffle de Dieu. Comme dans la Bible, la générations des rêveurs doit peut-être laisser la place à celle de gens plus pragmatiques ».

Troisième intervenant, Shafique Keshavjee, chrétien et directeur de la maison de l’Arzillier à Lausanne, ne dit pas autre chose en notant que les « magnifiques textes fondateurs des trois religions abrahamiques contiennent aussi des éléments qui fondent la haine d’autrui. Ce fut par exemple le cas pour les persécutions des Juifs par les chrétiens. Le texte de Dürrenmatt constitue le beau symbole du passage de la haine à la reconnaissance, de l’hostilité à l’hospitalité. Il nous rappelle aussi que ces mots possèdent des racines étymologiques identiques, et que les rêves peuvent indifféremment mener à la vie ou à la mort ». Pour l’auteur de « Le Roi, le sage et le bouffon », en charge du dialogue interreligieux pour l’Eglise réformée vaudoise , ill convient de ne pas « surestimer Dieu » afin d’arriver à la seule approche d’avenir, celle où chacun reconnaît ses propres responsabilités. « Mais qui, à commencer par nous-même en Occident, en est capable ? Voilà l’enjeu : travailler sur l’hostilité qui se cache au fond de nous, sur notre histoire pour parvenir à admettre celle de l’autre ».

§Une véritable solidarité Dans le même esprit, Marek Halter souligne avec force que l’on ne peut utiliser Dieu pour sa politique ou sa nation « au risque de verser dans l’idolâtrie ». Quant à Ghaleb Bencheick, il prône pour un « monogénisme » au-delà de la multiplicité humaine voulue par le Seigneur : « La diversité des êtres, nous le savons, peut être source de malheur autant que de bonheur. Ce dernier devient possible lorsque l’on cesse d’hypertrophier son ego, comme les extrémistes, et que l’on commence à dilater son cœur pour accueillir. Il devient alors possible de se référer ensemble à une véritable solidarité fondée sur la justice ».

Tous trois tombent alors d’accord pour estimer que les armes ne se tairont pas tant que Coran et Bible seront mis de côté. « En tant que juif exilé à Paris, je ne demande pas l’amour aux Arabes, note Marek Halter. Seul le Christ peut donner sa vie par amour pour l’humanité. Je réclame le respect. Dans cette région du monde, il faut évacuer la théologie pour survivre et faire un pas vers l’autre. »