Noël loin de chez eux : le regard des exilés sur la fête

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Noël loin de chez eux : le regard des exilés sur la fête

12 décembre 2002
Ils viennent des quatre coins du monde, vont passer Noël en Suisse, loin des leurs, de leurs traditions et de leurs racines, souvent dans la précarité, quelquefois dans la clandestinité
Quel regard posent-ils sur la fête telle qu’elle est célébrée ici ? « Tout le monde se fiche de nos vies, de nos souffrances, de notre mort ! » estime une jeune clandestine qui se cache.« Est-ce qu’en Suisse on ne dépense pas inutilement ? » se risque, timide, Eline, 31 ans, stagiaire rwandaise en stage à la Radio suisse romande. Depuis le génocide en 1994, qui a décimé sa famille, le cœur n’est plus vraiment à la fête. « Comment célébrer Noël avec tous ces absents autour de moi ? La chaleur d’autrefois n’y est plus ». Suit un grand silence hanté des souvenirs indicibles. « Il me semble, poursuit-elle, qu’ici en Suisse, Noël soit davantage la fête des commerçants que celle des chrétiens. Je ne comprends pas pourquoi les croyants n’utilisent pas mieux cette occasion pour faire passer leur message d’amour, de paix et de solidarité, pourquoi ils ne font pas, eux aussi, du commerce, mais au profit des enfants déshérités et des gens de la rue. » Elle ne désapprouve pas les marchands du temple, mais les voudrait dans le temple, au service des autres. Elle s’étonne qu’il soit difficile d’évangéliser en Suisse, même à l’occasion de l’une de la fête chrétienne par excellence. « Peut-être suis-je un peu jalouse de votre opulence, ajoute-t-elle, car chez nous, nous ne pouvons pas offrir grand-chose à nos enfants ! ».

En charge d’un ministère aux côtés des immigrés et des réfugiés à Lausanne, Brigitte Zilocchi se dit travaillée par l’inadéquation grandissante entre la façon dont on rend hommage dans les paroisses à l’enfant pauvre de la crèche et l’indifférence grandissante à l’égard des étrangers, des sans papiers, des marginaux, voire même leur rejet.

§« Clandestins, tenez bon ! »« Tenez bon, Dieu est avec vous ! » a lancé, à l’adresse de tous ses compagnons de clandestinité en pleine église de St-François à Lausanne, cette jeune Equatorienne, lors de la journée des Droits de l’homme le 10 décembre dernier. Toujours sur le qui-vive quand elle marche dans la rue, Marina rêve d’un Noël sans peur et sans regard traqué, avec son mari et son fils, né en Suisse, avec lesquels elle se cache. « Avant, nous changions toujours de domicile, moi, ça m’est égal, mais avec le petit, ce n’est plus possible ! ». Il y a huit ans que Marina fait des ménages en Suisse, elle vient seulement de s’enhardir à demander l’asile. « Notre vie, nos souffrances, notre mort, tout le monde s’en fiche ici ! » dit-elle avec le plus désarmant des sourires. Et d’ajouter : « Ici, pour se voir, même entre membres de la même famille, il faut se téléphoner pour prendre rendez-vous. Même à Noël, on ne peut pas débarquer à l’improviste ! »

Pour Nasser, venu d’Iran, la Nativité revêt une signification toute particulière qui fait briller ses yeux. Réfugié depuis quatre ans, il s’est converti au christianisme, a même changé de prénom, avec la volonté de se refaire une vie, une identité loin de l’intolérance qui l’a fait fuir. Pour Mohamad, réfugié politique irakien, "Christmas", comme il l’appelle, signifie toutes sortes de réjouissances pour marquer la fin de l’année. Mais de joie, il n’en a pas vraiment, car il a laissé derrière lui toute sa famille, - ses parents et une dizaine de frères et sœurs - , et il craint que la guerre ne s’abatte sur eux. « C’est toujours le peuple irakien qui paie ! ». Il regrette que cette fête ait été défigurée et soit devenue celle des consommateurs, à son avis de plus en plus « mondialisé » .

Contrairement à son nom, Jean-Josué Exil ne s’est pas expatrié en Suisse. Pasteur haïtien, il fait un stage d’une année en Suisse auprès de l’Eglise évangélique réformée vaudoise. Il a laissé derrière lui sa femme et ses trois petites filles. Loin d’eux, il ne fera pas la fête. « La promesse de Noël m’intéresse plus que la date en soi », précise-t-il. En Haïti, à Noël, il s’occupait des enfants de sa paroisse de la Grâce de Rivière Froide, pour les retenir de se joindre aux autres gamins, souvent livrés à eux-mêmes dans la rue, et faisant en général les cent coups lors de la veillée. « Cette nuit-là, les enfants haïtiens se comportent comme des adultes, boivent, fument et commettent des vols. Bien des adolescentes se retrouvent enceintes après cette folle nuit ».