Régis Debray à la Société vaudoise de théologie à Lausanne:Les monothéismes servent-ils à faire la guerre?

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Régis Debray à la Société vaudoise de théologie à Lausanne:Les monothéismes servent-ils à faire la guerre?

23 janvier 2003
« La religion porte-t-elle la guerre comme le nuage porte la pluie ? »
Avec son sens des formules percutantes et érudites, Régis Debray a inauguré la semaine passée à Lausanne un cycle de conférences sur les rapports entre « religion et violence », organisé par la Société vaudoise de théologie. Le philosophe français n’y est pas allé de main morte, soulignant à quel point les trois monothéismes, judaïsme, christianisme et islam, sont des facteurs aggravants des poussées de violence collectives. Si Dieu a grandi l’homme, estime-t-il, il ne l’a pas apaisé. Retour sur son réquisitoire sombre et érudit. « Une Afrique dans la main de Dieu est plus violente qu’une Afrique dans la main du culte des ancêtres ». Régis Debray a le sens des raccourcis pertinents. « Là où règne le Dieu unique, n’y aurait-il pas le diable juste en face? » Il enchaîne par une autre question qui prend des allures d’affirmation : « Le monothéisme ne sert-il pas à faire la guerre ? ». L’’auteur de « Dieu, un itinéraire » et d’un rapport sur la nécessité de l’enseignement du fait religieux à l’école, fait remarquer que les avancées du monothéisme correspondent presque toujours à des périodes de guerre. Il enchaîne avec l’une de ses formules dont il a le secret : « L’agent divin unique, c’est un tigre dans le moteur d’une puissance ». L’envol du budget de la défense et des prières publiques aux Etats-Unis après le 11 septembre semble donner raison à celui qui se définit comme un « travailleur intellectuel ». Dans la foulée, il souligne combien la lecture binaire du monde, opposant le bien et le mal au nom d’une vérité unique et indivisible, est porteuse de ravages.

§A l’office comme à la guerreRégis Debray relève les fréquents emprunts des Ecritures au langage guerrier : «Dieu est une armure, les casque du salut, la cuirasse de la foi ». Il relève une curieuse coïncidence dans l’aptitude des hommes à chanter et à faire la guerre. Sur le champ de bataille comme à l’office, le chant cimente les hommes. Le fait est que Magnificat et canonnades sont allés de pair tout au long de l’histoire chrétienne jalonnée de croisades, de guerres saintes et d’exactions commises au nom de Dieu. Le devoir de convertir, la volonté d’étendre le rayon d’action du divin portent au loin le conflit, ce qui amène à un changement d’échelle et une géographie des carnages beaucoup plus étendue. Le patriotisme d’Eglise, l’appartenance à une communauté élective substituent les frères en esprit aux frères de sang.

« L’Evangile est dans l’ombre des épées, alors que le héros antique ne cherche à convertir personne. Par ailleurs, relève Regis Debray, la littérature grecque et romaine ne connaît pas d’attentat-suicide.

§La preuve de Dieu par le meurtreDans une culture absolument monothéiste, Régis Debray voit un « absolu prédateur » qui attise et aggrave la violence, et une tendance constante à la militarisation. Pour surmonter les humiliations que les Babyloniens leur ont infligées et les traumatismes qu’ils ont subis, les croyants de l’Ancien Testament n’ont rien trouvé de mieux que de faire la guerre au nom d’un Dieu vindicatif qui n’oublie rien. La preuve de Dieu par le meurtre, en quelque sorte. Inutile de préciser que la remarque vaut pour les trois monothéismes.

Violence et religion ont partie liée. Seule éclaircie dans ce sombre tableau : la religion du Fils, qui a peu à peu supplanté celle du Père, a permis l’avènement d’un Dieu interactif, susceptible de nous adresser la parole et de nous entendre. Plus de verticalité tranchante, plus de vengeance, mais un Dieu d’amour et de douceur. Au Dieu qui punit et qu’on craint s’est substitué un Dieu qui protège et qu’on aime. La Trinité est porteuse de progrès.

Si Régis Debray fait un dur mais irréfutable constat, il ne se prononce en aucune manière sur les vérités de la foi, mais rappelle ce qu’il a mis en évidence dans son dossier pour le ministre de l’Education française, à savoir que le fait religieux est un révélateur essentiel des hommes. Celui qui veut connaître les hommes doit connaître leurs dieux. Il est à ses yeux essentiel de ne pas ignorer la tradition religieuse qui nous fonde, mais aussi celle des autres. pour ne pas laisser les autres penser pour soi. Seule la connaissance permet un véritable le dialogue interreligieux, où l’on doit pouvoir approfondir ses différences et ne pas chercher absolument le plus petit dénominateur commun, mettre en écho les traditions et savoir écouter l’autre avec humilité et honnêteté. Ce qui, de toute évidence, semble actuellement bien difficile.

§UtileReligion et Violence, prochaine conférence le 4 février 2003 de 9h à 11h30, « Canaliser l’agressivité ou la métamorphoser ? » par Pierre-Yves Brandt, professeur de psychologie et de religion à l’Université de Lausanne. Centre paroissial de St-Jacques à Lausanne.