Pierre-Yves Brandt à la Société vaudoise de théologie:Et si le regard religieux sur l'aggressivité changeait?

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Pierre-Yves Brandt à la Société vaudoise de théologie:Et si le regard religieux sur l'aggressivité changeait?

7 février 2003
On éviterait bien des névroses, individuelles et collectives, si le discours religieux dévoilait véritablement la part d’ombre qui habite l'humain, afin de s'efforcer de la métamorphoser en force créatrice
Professeur de psychologie de la religion aux Universités de Lausanne et Genève, Pierre-Yves Brandt a poursuivi le travail de réflexion inauguré par Régis Debray sur les liens entre violence et religion, à l’invitation de la Société vaudoise de théologie. Pourquoi nier l’agressivité qui est en soi, alors qu’elle est une dimension constitutive de la psyché ? Pour Pierre-Yves Brandt, invité à analyser, à la lumière de la psychologie et de la théologie, les liens entre violence et religion, la lucidité du regard religieux est indispensable et doit révéler la violence qui nous habite, nommer, à la place du croyant, ce qu’il ne peut pas accepter lui-même, afin qu’il puisse apprivoiser ses ambivalences, transformer ses pulsions agressives, et convertir, selon les mots de Paul Ricoeur, « toute hostilité en une tension fraternelle à l’intérieur d’une unité de création ».

Dire l’agressivité qui est en nous , voilà une des tâches des religions, estime Pierre-Yves Brandt, bien plus constructive que la répression de la violence ou sa canalisation vers des ennemis désignés au sein ou à l’extérieur du groupe. On sait à quel point le refoulement de l’agressivité, sa canalisation vers des boucs émissaires, comme par exemple la condamnation et l’exclusion des impies, la séparation du monde entre le Bien et le Mal, sont pervers et débouchent sur le fanatisme religieux.

« Devant Dieu, pas besoin de se regarder avec honte, pas besoin de se montrer mieux qu’on n’est ! » affirme Pierre-Yves Brandt, car Il nous invite à nous voir tel que nous sommes, avec nos ambivalences pour mieux les intégrer et les transformer en force de vie créatrice ! » Etre soi, avec ses angoisses, ses souffrances, ses frustrations, les identités qui nous structurent, libère de la confusion et peut prévenir des déchaînements imprévisibles dus au refoulement et à la négation des émotions.

§Attitude réaliste Face à la condition humaine, Pierre-Yves Brandt propose une attitude réaliste et libératrice, très éloignée d’un certain discours religieux qui considère que toute agressivité est péché, culpabilisant des générations de croyants, honteux de se sentir irrémédiablement mauvais. En permettant d’intégrer ce qui échappe à notre conscient, la religion peut donner des repères utiles pour choisir entre le bien et le mal agir, et pleine responsabilité. Alors seulement, en toute connaissance de soi, il devient possible de «lutter aux côtés de Dieu contre les forces destructrices du monde ».

§L’exclusion, une bombe à retardementRéfléchir à l’agressivité, c’est avant tout plancher sur la question de l’exclusion, estime Pierre-Yves Brandt. « La construction de catégories d’exclus est une véritable bombe à retardement. La frustration et les souffrances générées par le sentiment de rejet et de mise à l’écart entraînent un isolement et une marginalisation tels qu’il est impossible pour celui qui se sent nié de trouver les moyens d’entrer en relation avec l’autre. Selon la psychogénéalogie et plus particulièrement selon Bert Hellinger, psychothérapeute allemand, les exclus du passé peuvent même empoisonner l’existence de leurs descendants pendant plusieurs générations.

§Caïn l'exclu Pierre-Yves Brands prend l’exemple de Caïn dans le récit de la Genèse. Il analyse le sentiment de frustration et d’exclusion de Caïn, lorsque Dieu a détourné son visage de son offrande. Caïn s’est senti rejeté. Craignant de s’en prendre à Dieu directement et d’e l’affronter en lui exprimant son sentiment d’injustice, sa souffrance et sa colère, Caïn préfère, pour décharger son agressivité, la violence meurtrière au retournement contre le vrai responsable de sa frustration et de son offense. Abel mort, rien n’est résolu pour autant pour Caïn, sa solitude et son errance n’en sont que plus douloureuses. « Priver l’autre de son bonheur, conclut Pierre-Yves Brandt, ne résout pas son propre malheur ». L’histoire de Caïn renvoie l’humanité à ses propres confusions et ses propres ambivalences. Le conférencier évoque ensuite une autre façon de traiter l’injustice qui lui paraît constructive, celle de Jacob, qui, avant de rencontrer son frère ennemi, affronte un adversaire inconnu pour se faire respecter dans son intégrité, avec ses disfonctionnements, ses blessures et son être spirituel. Il combat avec l’ange et n’en meurt pas, mais peut enfin prendre sa place parmi les autres.