Eric Fuchs prône une éthique chrétienne contre l'humanisme mou

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Eric Fuchs prône une éthique chrétienne contre l'humanisme mou

27 février 2003
Dans son dernier ouvrage, « L’Ethique chrétienne », le théologien genevois Eric Fuchs confronte les modèles issus du Nouveau Testament aux défis contemporains d’une société désorientée
Entre l’idolâtrie de sa propre vérité et un humanisme mou, oublieux de sa tradition, le christianisme peut apporter une morale de reconnaissance et de liberté. Rencontre. Encourager l’amour du prochain et fustiger un « humanisme mou » tranche avec les discours actuels. Qu’importe pour Eric Fuchs. Le théologien genevois a depuis longtemps privilégié la réflexion et la remise en question à l’opportunisme du consensus. Il rappelle que le Nouveau Testament ne propose pas un, mais plusieurs modèles éthiques. Il les interroge, tout en écartant d'emblée le le « conservatisme identitaire » qui imprègne l’Evangile de Jean, aussi dangereux pour l’Eglise que son contraire, la fascination d’une modernité qui la pousserait à renier sa tradition et à « dissoudre son identité dans une vague religiosité » pour se rendre acceptable aux yeux de la société.

§L’amour, d’abordPour l'auteur, le christianisme actuel se retrouverait ainsi dans la situation de l’Eglise des premiers siècles : il doit s’insérer dans la réalité contemporaine, se confronter à « une culture qu’il a certes contribué à façonner mais qui s’est largement détachée de lui ». Tel est, pour l’auteur, le « combat intérieur » de l’Eglise : Ne pas jeter la tradition aux orties, mais bien au contraire en raviver la force initiale, comme s’y sont autrefois attelés des auteurs comme l’évangéliste Luc, puisant dans l’histoire d’Israël, tout en « donnant une visibilité à la nouvelle humanité née à Pentecôte ». L’éthique était alors traduction de l’enseignement du Christ : « Fondée sur le pardon, elle sera une pratique de la réconciliation, une guérison des violences, des exclusions et des convoitises qui aliènent les humains. Reconstruire l’humain en l’homme, pour qu’il puisse, comme le fils prodigue, revenir vers le Père qui lui ouvre les bras ».

Pour le théologien, si toute éthique chrétienne est tension entre plusieurs modèles, il existe des éléments constitutifs, un socle sur lequel s’appuyer, mélange de « rapport intime avec le Christ, de changement décisif de compréhension de soi, d’autrui, du monde et de Dieu ; et de primauté de l’amour sur toute autre vertu ».

Confronter l’héritage moral du christianisme aux enjeux actuels passe par la force du message contenu dans Ephésiens 5.21. C’est la « soumission mutuelle », une « humanité nouvelle où chacun trouve sa vocation spécifique, au service de l’ensemble, corps visible dont le Christ est la tête ». Non pas abandon de sa liberté pour plaire ou obéir à plus puissant que soi, mais « libre acceptation de la limite qu’autrui représente, parce que c’est cette limite qui va structurer ma liberté » . Soumission comme expression de l’amour, de la confiance et de l’espérance. Voilà l’un des sillons à creuser pour éviter le double écueil de la spiritualité consensuelle et de l’idolâtrie propre aux intégrismes. S’ouvre alors, note Eric Fuchs, la possibilité de réaffirmer les deux convictions fondamentales du christianisme. Celle d’abord, d’un « être humain précédé par un amour qui lui donne sens et espérance d’un avenir ». D’où le « scandale du mal », démenti sans cesse réitéré de l’amour divin. Pourtant, trier le bon grain de l’ivraie n’appartient qu’à Dieu, et « l’expérience la plus contemporaine, sans cesse reprise, montre que la prétention à imposer le bien, c’est-à-dire une conception particulière du bien, et à éradiquer le mal, conduit aux pires violences et aux malheurs les plus sombres », écrit l’auteur alors que la crise irakienne apporte un funeste écho à ses propos.

§S’arrêter et faire mémoireEAffirmer ensuite la certitude quel'homme est appelé à la liberté. « La tradition morale trouve ici sa forme spécifique, et son projet : (...) accepter comme dit Jean, de ‘faire vérité’. (...) Se manifester comme vie, comme manière d’être et agir, comme responsabilité de soi et d’autrui (...). Bref se manifester dans une éthique de reconnaissance et non de convoitise ».

Le sens de l’Evangile ne se révèle pleinement que si on le confronte à aujourd’hui. L’auteur de « L’Ethique chrétienne » y voit l’affirmation de Droits de l’homme ancrés dans une transcendance et une liberté qui n’oublient pas la solidarité : « C’est sans doute l’alliance de ces deux idéaux qui a permis à la société occidentale, (...) de faire émerger la conscience de droits égaux pour tous, libres enfants du même Dieu et reconnus chacun dans sa dignité propre. C’est à cette alliance qu’il faut revenir si l’on veut affronter les défis de notre temps ». Il faut alors « s’arrêter, faire mémoire » et si nécessaire « entrer en résistance - au nom de l’Evangile si l’on est chrétien, au nom des valeurs démocratiques si l’humanisme agnostique est notre religion - contre cette modernité qui pervertit tous ses idéaux fondateurs ».