Fédération de théologie romande : première salve critique

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Fédération de théologie romande : première salve critique

13 mars 2003
La théologie romande est-elle en danger ? Deux professeurs d’Université tirent la sonnette d’alarme devant ce projet de regroupement des trois facultés romandes dans lequel ils voient des signes de « repli » et de « confessionnalisation »
Explications avec Pierre Gisel, l’un des deux professeurs qui crient casse-cou. La théologie universitaire romande est à la veille d’un profond bouleversement. Dès l’automne 2004, Genève, Neuchâtel et Lausanne fonctionneront en réseau (lire encadré). Tous les observateurs s’accordent au moins sur un point : il y a urgence, tant il devient impossible pour les trois facultés de poursuivre en cavalier seul. La théologie intéresse beaucoup d'étudiants comme branche à options ou comme formation complémentaire, avec notamment le cours sur l'histoire et sciences des religions qui enregistre un beau succès à Lausanne qui intléresse des étudiants des autres facultés. En revanche, le nombre d’inscrits pour le cursus théologique complet se compte sur les doigts d’une main Neuchâtel et à peine sur les deux à Lausanne. Bref, on rejoint un constat plus général: le religieux intéresse, mais pas l’institution. Le pasteur ne représente plus guère un modèle d’identification sociale.

§Réflexion au placard ?Pourtant, à partir de ce constat commun, certains s’inquiètent des conséquences de cette réforme. Dans le mensuel des théologiens libéraux « Le Protestant », deux professeurs lausannois de systématique, Pierre Gisel et Thierry Laus, lancent un cri d’alarme contre ce qu’ils estiment être un « repli complet », une « sectorisation » de la théologie loin de la société et de la culture académique où elle a tant bien que mal réussi à revendiquer sa place.

Les deux signataires évoquent une « confessionnalisation » de leur matière, un peu comme s’il devait désormais y avoir d’une part l’étude des Ecritures, et de l’autre la pratique, une réflexion sérieuse sur l’histoire effective du christianisme, voire de l’Occident, ne paraissant plus pertinente; c'est ce qu'estime à Dorigny Pierre Gisel. Les lignes directrices du projet passeraient en quelque sorte de la Bible à aujourd’hui sans trop se poser de questions », sans s’interroger sur la signification du religieux, la manière dont la Parole a traversé les siècles ou la place de l’homme dans ce processus de transmission.

§Trop de pratique ?L’un des aspects de ce passage à la trappe de « toute élaboration théorique et réflexive » serait le peu de place laissée dans le futur plan d’études à la systématique, qui comprend à la fois la dogmatique et la théorie de la religion. « Depuis le 19e siècle au moins, la systématique est considérée comme fondamentale, d’une part entre les disciplines historiques et la théologie pratique d’autre part. Déjà fragilisée, elle se retrouve décapitée par cette réforme », note Pierre Gisel. Qui se défend de prêcher pour sa paroisse : « La définition même de la théologie est indissociable de la systématique. Il s’agit d’un enjeu global ».

Des propos qui n’effraient pas Eric Junod. Egalement enseignant dans la Haute Ecole lausannoise, ce professeur s’est chargé de la rédaction du second rapport à l’intention des rectorats. « Je ne partage pas du tout l’interprétation que font mes deux collègues de ce document. Mais s’ils ont des craintes, ils ont raison de les rendre publiques », souligne l’ancien recteur.

En revanche, Eric Junod reconnaît que les deux enseignants ont mis le doigt sur un point problématique. « Nous avons retenu le principe d’une spécialisation à deux branches. Puisque les Eglises exigent la théologie pratique pour leurs futurs ministres, cela ne laisse qu’une possibilité, et contraint à choisir entre l’étude de la Bible et la systématique-éthique. Il faudra se demander si c’est jouable. Aux Eglises aussi de savoir si elles veulent vraiment que tout le monde fasse de la pratique ».