La génétique face à la responsabilité éthique

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La génétique face à la responsabilité éthique

20 mars 2003
Lorsque le biologiste et l’éthicien croisent leurs regards sur les limites du clonage et de la procréation assistée, cela donne une passionnante rencontre comme celle de mardi dernier à Aigle
Pas de réponse toute faite, mais d’impressionnantes images et un balayage des connaissances pour alimenter un débat entre espoirs et craintes. Durant des décennies, la science s’est employée à repousser les limites de la mort. Depuis quelques années, le débat porte surtout sur les méthodes capables de créer la vie. Durant ce mois, le Service communautaire de formation d’adultes de l’est vaudois contribue au débat sur la génétique en organisant une série de rencontres mêlant le regard du spécialiste et de l’éthicien.

Pour le troisième de ces quatre rendez-vous, la semaine dernière dans la salle paroissiale d’Aigle, place au clonage et à la procréation médicalement assistée (PMA). Un public une nouvelle fois nombreux est venu entendre les propos croisés d’Alfred Senn, chef du laboratoire de biologie de la reproduction du CHUV et Denis Müller, professeur d’éthique à l’Université de Lausanne.

A l’aide d’image saisissantes, Alfred Senn s’est pour sa part employé à clarifier quelques aspects de sa pratique, les avancées de la biologie n’étant notamment pas sans conséquence sur notre vision du monde. « Par exemple, explique le patron du laboratoire d’andrologie, contrairement aux idées reçues, nous savons désormais que ce n’est pas le spermatozoïde le plus fort qui parvient à pénétrer dans l’ovocyte. Il n’y a pas de meilleur qui gagne, mais une multitude nécessaire à la victoire d’un seul, sans qu’il ne soit possible de déterminer lequel ».

Autre donnée étonnante, les biologistes se sont aperçus que l’enveloppe de l’œuf féminin opposait une vive résistance à la pénétration de la pipette contenant le spermatozoïde. « Au début, il fallait se convaincre que cette espèce de viol n’empêchait pas que nous produisions par cette méthode d’aide à la fécondation un embryon tout à fait normal ». Et puis il y a les questions sans réponse, notamment celles qui touchent aux différences organiques entre les sexes. Pourquoi, par exemple, l’organisme féminin d’un embryon fabrique-t-il des millions d’ovogonies alors qu’il est encore dans le ventre de sa mère, pendant que le mâle produit pour sa part des cellules reproductrices toute sa vie durant ? « Pourquoi y a-t-il un tel gaspillage de cellules dans la reproduction sexuée, s’interroge Alfred Senn. A ce jour, nous n’en savons rien. On peut seulement être frappé par l’incroyable diversité des parades imaginées par les espèces vivantes pour propager leurs gênes ».

§Un même Dieu, pas les mêmes conséquencesRestent les questions sur les limites à ne pas franchir en matière de stimulation et d’instrumentalisation de la vie humaine. Pour le pasteur André Freudiger, organisateur de ce cycle, « s’il existe la notion d’acharnement thérapeutique qui repousse sans cesse les limites de la mort, on peut se demander si nous n’assistons pas désormais à une sorte de furie procréative ». La loi suisse demeure assez restrictive en matière de manipulation génétique, interdisant notamment tout tri au niveau du génome et donc tout risque d’eugénisme. De même, à Lausanne, le laboratoire du CHUV refuse d’entrer en matière si un couple a dépassé l’âge de procréer. Mais dans les deux cas, on sait que ce n’est pas le cas partout.

Pour l’éthicien comme pour le légaliste donc, pas de réponse absolue en ce domaine, rappelle Denis Müller, que l’on soit croyant ou non : « Pour certains, rappelle ce dernier, tout clonage (l’introduction d’une cellule adulte dans un ovocyte, ndlr.) doit être banni. Pour d’autres, il convient de distinguer l’aspect thérapeutique et reproductif. Quant aux plus radicaux, ils voient déjà dans la procréation assistée elle-même la transgression d’un interdit ». Et ce ne sont pas toujours ceux que l’on croit, puisque plusieurs ont fait remarquer qu’étonnamment les savants juifs ne voient aucune objection aux manipulations génétiques : puisque Dieu a permis à l’homme d’expérimenter ce domaine, il n’y a pas de raison de s’en priver. « Les scientifiques musulmans sont du même avis, arguant que l’être humain a été créé pour se servir de son intelligence, note Denis Müller. Cela montre qu’une foi en un Créateur peut amener à défendre des positions très différentes, sans même parler de la diversité des avis à l’intérieur d’une même confession. C’est toute la difficulté de passer de la louange à l’éthique ».

Il convient en quelque sorte de faire confiance au chercheur, de ne pas le soupçonner de vouloir façonner un réel de substitution au nom du respect de la vie qui peut puiser sa source ailleurs que dans la foi. Selon l’éthicien, « pour le chrétien, Dieu est avant le commencement, et lui seul le connaît. La biologie restera donc toujours du côté de la procréation, non de la Création ».

Pierre Léderrey/Protestinfo

§UTILE

Une quatrième et ultime rencontre aura lieu mardi 25 mars (20h à la maison de paroisse d’Aigle, av. des Glariers 4) sur le thème « Analyse génétique, médecine prédictive, et après ? »§