"A-t-on encore besoin d’une religion ?"

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"A-t-on encore besoin d’une religion ?"

10 octobre 2003
Derrière le titre provocateur de ce livre se cache un dialogue intelligent et fécond entre un pasteur théologien, un philosophe athée et un novice catholique devenu écrivain
A l’heure du fondamentalisme et des intégrismes, dans une époque où chacun peut se bricoler une spiritualité sans recourir à une Eglise ou à un dogme, que reste-t-il de la religion, phénomène social impliquant des croyances, des rites et une communauté ? Le pasteur, philosophe et théologien français Alain Houziaux a invité trois intellectuels pour en débattre. Le prêtre et écrivain Bernard Feillet, d’abord. « La question des religions est seconde. La première des toutes les interrogations est d’éclairer en moi cette présence et cette absence que je nomme Dieu ». En définitive, il s’agit pour lui de se demander quelle place la religion occupe dans sa propre vie, puisque sa présence elle-même ne fait aucun doute. Bref, ne pas discuter à partir d’un « on » anonyme, mais s’émerveiller « du chemin parcouru par celui qui s’éveille à l’ultime ». Si Dieu est Dieu, rappelle Bernard Feillet, impossible pour l’homme de le nier ou de témoigner de lui. « L’homme ne peut parler que de l’homme, et pour ce qui concerne l’essentiel de sa vie, il ne peut parler que de lui-même ». Inutile dès lors, de débattre de Dieu. Certains chemineront vers lui, d’autres estimeront que la présence des autres hommes « suffit à maintenir en eux le sens de l’absolu ». L’amour, en définitivePerspective différente, naturellement, avec « l’athée fidèle » qu’est André Comte-Sponville. Confucianisme et bouddhisme ont nourri des civilisations immenses sans reconnaître aucun Dieu personnel, créateur et transcendant, ce qui constitue les trois caractéristiques d’une religion au sens occidental du terme. La foi commune a disparu, reste une fidélité envers une culture et des valeurs issues du christianisme.

Reprenant les trois grandes questions de Kant, le philosophe français souligne qu’en matière de connaissance comme de morale, la religion n’est pas nécessaire : les sciences et leurs limites demeurent, et l’on peut parfaitement être athée et vertueux. « En revanche, perdre la foi change beaucoup de choses quant à la troisième interrogation, celle de l’espérance ». Certes, il existe le « bonheur désespéré » propre à certaines sagesses antiques et orientales. « Mais Pascal avait raison de dire qu’un athée lucide ne peut pas échapper au désespoir ».

Le Royaume de Comte-Sponville, c’est « ici et maintenant, où rien n’est à croire, puisque tout est à connaître, où rien n’est à espérer, puisque toute est à faire ou à aimer ». Rappelant qu’une spiritualité n’est pas forcément une religion, l’auteur du Traité du désespoir et de la béatitude conclut : « Les expériences humaines, fussent-elles finies et relatives, me semblent plus intéressantes que les ignorances humaines. Et Dieu n’est pas autre chose que notre ignorance, une absence que l’on guette ».

Enfin, le journaliste et écrivain Alain Rémond avoue qu’après avoir failli faire ses vœux, il a appris « à se dépouiller de la religion pour garder l’essentiel : la foi en une rencontre, de personne à personne, avec un Dieu qui s’est fait homme ».

Trois attitudes qui pourront faire débat en chaque lecteur, qui se rappellera avec Comte-Sponville qu’en définitive, l’essentiel n’est ni la foi ni l’espérance, « mais la quantité de courage et d’amour dont on est capable ». Saint Paul n’a pas dit autre chose dans ce célèbre passage de l’Epître aux Corinthiens : « Quand j’aurais (…) la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ».André Comte-Sponville, Bernard Feillet et Alain Rémond (sous la direction d’Alain Houziaux), A-t-on encore besoin d’une religion ?, Editions de l’Atelier, septembre 2003.