Le philosophe Olivier Abel réinterprète la prédestination selon Calvin:"Ne pas se soucier de son salut, quelle grâce!"

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Le philosophe Olivier Abel réinterprète la prédestination selon Calvin:"Ne pas se soucier de son salut, quelle grâce!"

22 octobre 2003
Professeur de philosophie éthique à la Faculté protestante de Paris, Olivier Abel présentera une approche différente du dogme de la prédestination de Calvin, dans le cadre du cycle de conférences consacré aux « énigmes du destin », qui se déroulera du 5 au 26 novembre prochain l’Université des Bastions à Genève
Interview.Vous proposez une interprétation un peu différente du dogme de Calvin sur la prédestinationJe ne crois pas réinventer quoi que ce soit. Pour ma part, j'avais été frappé par la conviction de mon grand-père, instituteur français très calviniste qui me disait ne pouvoir concevoir le salut qu’universel, c’est-à-dire donné à chacun. « Tout le monde est élu », affirmait-il, s’opposant à une interprétation plus sectaire de la pensée du réformateur de Genève, sans doute précieuse au temps des tribulations d'une minorité persécutée. J’ai été séduit par cette conception qui insiste sur la confiance prônée par Calvin qui se refuse à « la folle curiosité ». Il ne faut pas, dit-il, « se jeter dans le labyrinthe du jugement de Dieu », car il ne nous appartient pas. Cette confiance amène à une triple libération, politique, théologique et psychologique.Politique ? Elle est politique dans la mesure où notre salut échappe à la compétence des princes et des prêtres et ne leur appartient pas. Puisque le salut n’est pas du ressort des hommes, on ne peut en aucun cas les contraindre. De ce fait, notre liberté de conscience est entière. Il y a une part de nous-mêmes sur laquelle les pouvoirs ne peuvent pas mettre la main et que nous-mêmes ne connaissons pas nous-mêmes. Il faut donc s’en remettre à Dieu.En quoi cette confiance débouche-t-elle sur une libération théologique ? La deuxième libération est en effet théologique : il n’y a plus de bonnes œuvres ni de bonne doctrine, encore moins de bonne Eglise qui pourraient nous garantir le salut. Elles deviennent secondaires. Ce principe nous libère du fatras théologique dont on a entouré Dieu. Seules comptent l’autorité de l’Ecriture (Sola Scriptura) et la Grâce (sola fide). La prédestination nous accorde une chance jusqu’au bout, élu, béni par Dieu quoi qu'il en soit.Vous parlez aussi d’une libération psychologiqueLe signe de la grâce, c’est l’insouciance quant à la grâce. On ne peut pas influer sur notre salut, on ne peut que le recevoir. En nous dépouillant de toute prétention à le réaliser, en nous abandonnant à la Grâce de Dieu, elle ne peut que nous envahir. Mais pour cela, il faut absolument nous dépouillant de toute prétention à vouloir nous sauver, nous vider de tout souci de soi, ne plus être le centre de tout. Le « moi » n’a plus d’importance. Le fait de ne plus nous préoccuper de notre propre salut puisque nous ne pouvons pas l’influencer, n’induit-il pas à une attitude fataliste ? Il ne faut pas lire la doctrine de la prédestination comme un fatalisme. Il y a un destin avant tous les destins. C’est une limite à notre savoir. Cette attitude est en fait un formidable pied de nez au déterminisme des scientifiques. Calvin, comme Kant, met une limite à la maîtrise du savoir. En nous dépouillant de toute prétention à savoir ou à réaliser notre salut, l'idée de prédestination installe au coeur de chaque existence une " case vide" qui remet tout en mouvement.Cette attitude peut encourager la déresponsabilisation individuelle. Certes, il n'y a plus de responsabilité verticale: je ne suis pas responsable de mon salut. Mais horizontalement, nous sommes pleinement responsabéles et adultes, interprétant librement la confiance qui nous est donnée. Cette liberté de chaque chrétien, fondée en dehors des autorités comme des coutumes religieuses, ne peut être conçue que comme un contrat volontaire qui demande une très grande autodiscipline et la faculté de tenir sa parole..Faire confiance n’est pas chose facile!C’est vrai. Aujourd’hui toute notre attitude n’est qu'inquétude, soupçon et méfiance, nous aspirons à tout contrôler, même notre mort. L’insouciance calviniste, à l’opposé de l’individualisme actuel exacerbé, est une libération, un salutaire lâcher-être. Pour Calvin, il s'agit de vivre comme si l’on était sauvé, comme si l’on était béni par Dieu, de multiplier les œuvres, non comme des moyens mais comme des signes de cette élection. Ne pas rester planté les bras croisés sans rien faire de ce qui nous a été donné. A chacun de rendre grâce, d'interpréter cette grâce de manière unique et de la décliner dans une infinie diversité.