L’islamophobie sévit-elle en Suisse ?Une revue romande fait le point

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L’islamophobie sévit-elle en Suisse ?Une revue romande fait le point

5 décembre 2003
« Pas à pas les musulmans s’installent », titrait récemment le quotidien Le Temps, qui consacrait une double page à la communauté qui représente la 2e religion de Suisse
Cette implantation ne va pas sans provoquer des résistances. Mais peut-on véritablement parler d’islamophobie ? « Boèce », revue des sciences humaines, fait le point. Les musulmans, qui représentent 4,3 % de la population en Suisse, n’ont jusqu'à présent pas suscité de véritable conflit social. Mais leur présence est aujourd’hui beaucoup plus visible dans les sphères politique et sociale à la suite des regroupements familiaux autorisés par la législation fédérale dans la seconde moitié des années septante et l’afflux de réfugiés venus d’ex-Yougoslavie, de Turquie, d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, poussés à l’exil par des guerres civiles, des dictatures et des famines.

En 30 ans, la population musulmane de notre pays a été multipliée par 20. Le manque d’ouverture des communautés musulmanes à la société laïque suisse et leur tendance au repli communautaire sont de plus en plus perçus comme un refus de s’intégrer. Les revendications musulmanes (création de cimetières musulmans, abattage rituel, nomination d’imams « importés », construction de mosquées et de centres culturels) ont porté un coup à l’acceptation silencieuse de la logique assimilationniste des minorités.

Depuis les événements du 11 septembre 2001, la montée des fondamentalismes musulmans, qui menacent la paix et la sécurité dans le monde, a contribué à dégrader l’image que se fait l’opinion publique de l’islam. Le statut inférieur des femmes, symbolisé par le voile, l’absence de condamnation officielle par la communauté musulmane vivant en Suisse de la lapidation des femmes adultères et le non-respect des droits humains dans la culture islamique, ont provoqué des crispations dans la population, dont les médias se sont fait les relais. On s’est mis peu à peu de parler de « problème » musulman.

En donnant par exemple très largement et fréquemment la parole, au nom de la liberté d’expression, aux deux frères Ramadan, offrant même à Tarik Ramadan deux pages entières dans le Courrier, un éditorial dans 24 Heures à la suite de son face à face télévisé avec Nicolas Sarkozy, la presse finit par agacer une partie de l'opinion publique qui constate que pareille tribune ne serait au grand jamais accordée à toute autre religion.

La demande d’élargissement des droits civils et sociaux provoque des réactions de défense de la part de membres des groupes déjà intégrés qui décident des modalités de l’inclusion des nouveaux venus. Matteo Gianni, maître-assistant à la Faculté des sciences politiques à l’Université de Genève et coauteur de la revue Boèce analyse : "L’hostilité face à l’inclusion de l’Autre est potentiellement plus forte si l’Autre affirme sa volonté de maintenir ses propres différences, et, qui plus est, de les voir admises et respectées dans la sphère publique ». A partir de là, tous les dérapages xénophobes sont possibles, entraînant insultes, violences, attaques verbales et physiques. Ces manifestations ont pour objectif d’établir des démarcations, de marginaliser celui qui est considéré comme incompatible.

En n’accordant pas une reconnaissance de droit public au groupe religieux islamique qui représente en fait la deuxième religion de Suisse, au même titre que d’autres religions dans notre pays, estiment les auteurs de la revue romand, en refusant leurs requêtes, elles accentuent le sentiment de discrimination, et encouragent une radicalisation identitaire de part et d’autre.

Il ressort de cette lecture que le dialogue est de plus en plus nécessaire, à visage découvert, de part et d’autre, où chacun révèle qui il est,quelles sont ses vraies intentions, en toute sincérité, pour aider l’autre à l’accepter. L’ouverture à sens unique finit par être contreproductive et nuit à l’établissemrent d’une véritable confiance réciproque.Boèce, revue romande des sciences humaines Editions Saint-Augustin, case postale 51, 1890 Saint-Maurice.