Investir dans la pauvreté : une affaire qui roule

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Investir dans la pauvreté : une affaire qui roule

18 décembre 2003
Une entreprise genevoise de micro-finance, Blue Orchard, joue les intermédiaires entre des investisseurs occidentaux et des petits entrepreneurs établis dans les pays en voie de développement
Cette start-up ne compte ni sur des dons, ni sur des subventions. Elle met en relation des hommes d’affaires qui ne se font pas de cadeaux. Et ça marche.« Les dons peuvent miner le marché de la micro-finance », déclare Roland Dominicé, cadre chez Blue Orchard, et poursuit en rappelant que « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Les gestionnaires de cette start-up craignent la concurrence des grandes institutions internationales qui financent gratuitement des programmes de développement économique dans les pays du Sud. Un choix qui surprend. Le gestionnaire s’explique : « Si une banque reçoit un don d’un million, elle pourra se permettre de diminuer ses taux d’intérêt. Elle attire de ce fait une majorité de clients et sabote le jeu de la concurrence. L’industrie du micro-crédit s’en trouve du coup fragilisée ». Chez Blue Orchard, on préfère mettre en avant l’autonomie financière et la responsabilisation des clients. « Nous essayons de montrer que les dons ou les subventions ne sont pas les seules solutions pour faire tourner un commerce dans un pays en voie développement », explique Roland Dominicé. Un taux de remboursement canon« Notre entreprise d’un point de vue commercial fonctionne bien, mais elle respecte aussi des principes éthiques », poursuit ce gestionnaire. Tout en respectant les règles de l’économie de marché, on renforce le tissu économique d’une région et on assure aux investisseurs des bénéfices. Un pari réussi! Le taux de remboursement des utilisateurs de Blue Orchard avoisine les 97%. En Europe, 10 à 20% des crédits accordés ne sont pas remboursés. Le plus gros programme que cette entreprise finance est celui de la Banco Solidario en Equateur qui compte 200'000 clients. Autant de micro-entrepreneurs qui peuvent ainsi contourner l’obstacle majeur dans leurs pays : trouver un établissement bancaire qui leurs fasse confiance.

«Nous fournissons des prêts d’un montant peu élevé, renouvelables tous les trois mois », explique ce jeune cadre. Ce type d’arrangement permet de tester la solvabilité du client. En effet, ce dernier ne possède aucune garantie, mis à part son savoir faire. Le risque pour la banque est de ne jamais revoir la couleur de l’argent prêté. Pour éviter les catastrophes, les débiteurs sont conseillés par des officiers de crédit. Ces derniers dispensent des cours de gestion et s’informent de la santé financière de l’entreprise. Ils définissent le montant mensuel ou hebdomadaire et le rythme de remboursement de l’emprunt. « Les officiers de crédit connaissent tellement bien la vie des quartiers qu’ils sillonnent, qu’ils sont au courant de tous les événements. Ce n’est pas rare qu’ils soient invités au mariage du fils ou de la fille d’un client », raconte Roland Dominicé. Ils couvrent même des zones où la police n’ose plus se rendre. A l’autre bout de la chaîne, ceux qui mettent à disposition leur argent sont pour la plupart des entrepreneurs en fin de carrière. Ils se rendent compte que pour réaliser leurs rêves, ils ont bénéficié d’un capital de départ. Ils sont séduit par les rendements stables et la dimension éthique de cet échange.

Si le travail de Blue Orchard porte ses fruits, le type de financement qu’il applique n’est pas adapté à toutes les situations. L’insécurité politique ou économique dans certains pays éloigne les bailleurs de fonds. Faire fonctionner un réseau d’eau propre ou soutenir une campagne d’information sur le Sida sont des missions trop coûteuses pour un établissement privé. Dans ces cas précis, on ne peut pas se passer des grandes institutions internationales tels que l’ONU ou les ONG. L’aide humanitaire et la micro-finance ne s’excluent pas l’une l’autre. Elles interviennent à des stades différents du développement économique. Réaliste, Roland Dominicé conclut en affirmant que « la micro-finance ne peut pas résoudre tous les problèmes de la terre ».