Sur les traces de Jésus en Egypte:Les coptes réaffirment leur identité chrétienne

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Sur les traces de Jésus en Egypte:Les coptes réaffirment leur identité chrétienne

22 décembre 2003
Après Bethléem et la nuit de Noël, Jésus, Marie et Joseph fuient en Egypte
Il leur faut échapper à la terrible répression du roi Hérode. Ce thème, brièvement évoqué dans l’évangile de Matthieu, a fait fortune en Egypte. Aujourd’hui, on explique aux touristes que Jésus et les siens ont laissé des traces de leur passage dans une trentaine de sites. Du nord au sud du pays. Visite du site de Maady au bord du Nil et découverte d’un christianisme copte, assoiffé de merveilleux.« Nous les chrétiens d’Egypte, nous racontons beaucoup d’histoires et de proverbes. Et ces histoires, transmises de père en fils, nous donnent une identité forte, que nous soyons des chrétiens coptes de Haute ou de Basse-Egypte ! » Magdy Saber est un agent de voyage copte. Il fait visiter le site de l’Eglise de la Vierge à Maady, dans la banlieue du Caire, à quelques mètres du Nil. L’endroit, selon la tradition copte, aurait accueilli Jésus, Marie et Joseph lors de leur fuite devant la menace du roi Hérode. Troublé par l’annonce de la naissance d’un prétendant au trône, ce dernier aurait, au début de notre ère, décidé de tuer tous les enfants de moins de deux ans à Bethléem et dans les environs.

Ce qui retient particulièrement l’attention de Magdy Saber, notre guide à Maady, c’est un escalier. Aujourd’hui entouré d’une splendide barrière en fer forgé noir, cet escalier aurait été foulé par Joseph et Marie, juste avant qu’ils montent à bord d’une felouque et poursuivent leur errance jusqu’en Haute-Egypte.Inflation narrative« Jésus est venu chez nous ! » scande à plusieurs reprises avec émotion notre guide. Même si l’attestation biblique est sobre : trois versets du seul Evangile de Matthieu, la tradition de la fuite en Egypte a connu une inflation surprenante au cours des siècles dont témoignent ces récits que l’on appelle apocryphes, parce qu’ils ne sont pas reconnus par les Eglises. Au nombre de ceux-ci, l’Evangile du Pseudo-Matthieu, l’Histoire de l’enfance de Jésus ou alors l’Evangile arabe de l’enfance.

Cette explosion des traditions narratives autour de l’enfance de Jésus a été telle qu’on retrouve même la thématique de la sainte famille sous la plume d’auteurs musulmans dès le VIIe siècle. Aujourd’hui, l’Eglise copte orthodoxe propose de visiter une trentaine de sites qui jalonnent le périple. Souvent flanqués d’une église, ces sites mettent en exergue des lieux où l’enfant Jésus aurait posé le pied, pris un bain, ouvert une source ou retenu de sa petite paume un rocher.

L’Egypte revendique le statut de peuple de Dieu

« La venue de notre Seigneur Jésus-Christ et de la sainte famille en Egypte est l’un des événements les plus importants, intervenus sur le territoire de notre chère Egypte durant sa longue histoire ». Le pape Shenouda III, la plus haute autorité de l’Eglise copte, n’y va pas par 4 chemins. Dans un splendide ouvrage en couleurs récemment paru, il considère cet événement - ou ce non événement ! - comme décisif, non seulement pour l’Eglise copte mais aussi pour la nation égyptienne ! Avec en sous-main le but de montrer que l’Egypte est aussi le peuple de Dieu.

Avec emphase, Magdy Saber emboîte le pas au pape copte. Notre guide rappelle que l’Egypte et sa riche civilisation ont accueilli les Israélites avant l’Exode déjà, que les Egyptiens leur ont accordé leurs meilleures terres pour se développer, et que même Jésus a goûté à « l’hospitalité légendaire du peuple égyptien ». Autant de raisons qui poussent aujourd’hui les coptes à brandir avec fierté un verset du prophète Esaïe qui dit : « Béni soit l’Egypte, mon peuple ! »Christianisme copte« Il ne faut pas balayer ces traditions autour de la sainte famille d’un revers de main ! » relève Jean-Bernard Livio. Cet archéologue et bibliste catholique de Genève, qui emmène régulièrement des groupes sur les traces de la sainte famille, invite à la nuance. Pour lui, ces développements florissants autour de la saga de Jésus en Egypte sont l’occasion de rencontrer la richesse d’un peuple et de sa piété.

C’est qu’aujourd’hui, les coptes se sentent menacés. L’émigration les décime, au point qu’ils ne seraient plus que 3 à 4 millions sur une population de 70 millions d’Egyptiens. De plus, la forte islamisation de la société égyptienne, ces 20 dernières années, les a marginalisés. Ils se sentent contraints de réaffirmer leur identité. Et la saga de Jésus en Egypte est, dans ce contexte, du pain béni ! « Cette réaffirmation identitaire ne se veut pas polémique à l’endroit des musulmans, explique Jean-Bernard Livio, mais elle vise à rendre visible et à faire reconnaître l’apport spécifique des coptes à la société égyptienne. »

Aux yeux de nombre d’Occidentaux, l’avalanche de merveilleux qui accompagne la saga de Jésus en Egypte désarçonne. Jean-Bernard Livio y voit une façon pour les Occidentaux, « souvent très rationalistes », de goûter à un autre type de spiritualité. « La plupart des Egyptiens n’ont pas un rapport livresque à la transcendance, relève-t-il. Ils se nourrissent plutôt de traces tangibles sur le terrain ». Pour l’archéologue et bibliste genevois, le chrétien égyptien souhaitera mettre sa main dans la trace de la paume de l’enfant Jésus ou goûter à l’huile de l’olivier qui aurait abrité la sainte famille. Des gestes concrets pour dire une communion avec le Christ. « A partir de là, peu importe si l’historicité de la trace est avérée ou non. Tout est dans le geste et la foi dont il témoigne ! »