UNIL: les cours sur l'islam trouvent leur public

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UNIL: les cours sur l'islam trouvent leur public

13 décembre 2010
Monika Salzbrunn, Félix Imhof © UNIL

Monika Salzbrunn, nommée professeure ordinaire à la Faculté de théologie et de sciences des religions, vient de rejoindre l’Université de Lausanne (UNIL). La professeure en religions, migration et diasporas a l’ambition d’accorder une place centrale à l’étude des mondes musulmans. Les étudiants suivent.


Anne Buloz: Vous qui connaissez particulièrement bien les mondes musulmans, comment expliquez-vous le fait que la Suisse ait voté l'interdiction de la construction des minarets il y a un an?

Monika Salzbrunn: Je pense que les présences musulmanes en Suisse ont été abordées dans l’espace public en se focalisant un peu trop exclusivement sur les expressions matérielles de l’appartenance religieuse. On n’a parlé que des minarets et du niquab, qui ne sont pas forcément des représentations emblématiques de l’islam.

Les minarets ne sont pas obligatoires, il s’agit juste d’un signe d’appartenance. S’être focalisé sur une certaine manière de vivre sa religion a eu pour effet, je pense, de renforcer davantage les stéréotypes. L’islam en Suisse trouve des formes d’expression bien plus variées, qui ne sont pas toujours visibles dans leur complexité.
A. B.: Quelles sont les conséquences de cette votation ?


M. S.: Cela a à la fois donné lieu à un énoncé très xénophobe, mais aussi accentué la prise de conscience de la présence forte de musulmans de différents groupes sur le territoire suisse. Tout le monde n’avait peut-être pas réalisé que beaucoup de ces musulmans sont des citoyens helvétiques ou des résidents permanents et qu’ils font partie de la société suisse.

La votation a aidé à déconstruire le paysage religieux suisse en donnant à voir une diversité dont beaucoup n’avaient jusque-là pas conscience: la société suisse est composée de protestants, de catholiques, de musulmans, de juifs, de bouddhistes, de non-croyants sans oublier les adeptes de ce que certains spécialistes appellent aujourd’hui les « nouveaux mouvements religieux ».

A. B.: Est-ce là l’origine de la forte fréquentation de vos cours et de ceux de Jean-Claude Basset, qui traitent tous deux de l’islam ? (lire l'encadré)

M. S.: Il existe plusieurs raisons à cela et il serait trop simple de dire que cet intérêt tire uniquement sa source du 11 septembre ou de la votation sur les minarets. Il faut prendre en considération la référence historique. L’Europe a une longue histoire de rencontres avec des personnes et des savoirs émergeant de régions où l’islam est pratiqué.

La Faculté de Lausanne a toujours eu un fort intérêt pour les différents mondes musulmans et de nombreuses études suisses se sont penchées sur cette région du monde. Il y a une certaine continuité dans l’intérêt des aspects culturels, civilisationnels et religieux que révèlent ces espaces.

A. B.: Vous codirigez, en parallèle à vos activités d’enseignement et en leur faisant écho, une recherche sur les manifestations visibles et invisibles de l’islam au sein de l’espace urbain suisse. Pouvez-vous nous expliquer cette recherche ?

M. S.: La présence religieuse présente toujours deux volets. La première partie relève de la sphère privée, de l’intimité de la personne. La seconde est due aux contraintes matérielles et juridiques, comme le refus d’un permis de construire ou le manque de fonds. Certaines communautés n’ont pas de lieu stable pour organiser un culte ou une prière. Les contraintes matérielles conduisent aussi à l’invisibilité de certains cultes.

Un groupe de protestants non-réformés se retrouve par exemple dans un cinéma. A Zurich, une salle est à la disposition des communautés et chacune peut y exercer son culte. Comme toutes les études que j’ai menées, celle-ci s’inscrira dans une optique comparative, peut-être avec le Japon ou la Chine, où j’ai été invitée au printemps dernier.

A. B.: Etudiez-vous également les mouvements migratoires en Suisse ?

M. S.: Je suis experte sur un projet mené en collaboration avec l’Ecole des Beaux-Arts de Zurich pour comprendre comment les migrants, y compris internes à la Suisse, créent une appartenance par les arts plastiques et le théâtre. En ce qui concerne le mouvement des populations, la Suisse est par exemple très différente de la France, car elle n’a pas eu d’empire colonial. En Suisse, il y a une cohabitation très ancienne, bien avant que la vague des ouvriers n’arrive dans les années 60.

A. B.: Votre expertise internationale est reconnue, que vous apprend-elle sur le contexte suisse ?

M. S.: La Suisse est un cas plutôt unique, car ses frontières sont très anciennes. C’est un pays extrêmement complexe, où la question religieuse est fortement marquée par le canton, puisque c’est lui qui gère les affaires culturelles. Elle ressemble en cela à l’Allemagne. Il y a cependant de grandes différences entre les cantons.

Genève et Neuchâtel peuvent par exemple être comparés à la France en raison de la séparation plus marquée des Eglises et de l’Etat. En Suisse alémanique, les rapports entre les groupes religieux et les autorités cantonales sont plus institutionnalisés. Toutes ces différences régionales et cantonales ont ensuite forcément un impact sur les habitants.

A. B.: La Faculté de Lausanne regroupe, en plus de la théologie, la science des religions. Est-ce pour s’ouvrir aux « non-croyants » ?

M. S.: La séparation entre les deux est un peu artificielle. La Faculté est très ouverte aux sciences sociales. Le volet accordé à l’histoire et aux sciences des religions est important pour les théologiens. L’histoire des religions est, par exemple, une discipline essentielle pour comprendre la plupart des tableaux de certaines époques, qui représentent surtout des illustrations de l’histoire des religions et de la mythologie.

L’histoire de l’art se penche aussi sur ce genre de questions, tout comme les Lettres, une grande partie de la littérature étant marquée par l’histoire des religions. Bien entendu, des aspects qui relèvent du religieux font partie intégrante de la formation en sciences sociales. L’ouverture enrichit forcément le regard.

A. B.: Une connaissance plus étendue des différentes traditions religieuses peut-elle servir à une meilleure compréhension des autres ?

M. S.: On apprend davantage dans la comparaison. La comparaison est, en premier lieu, utile pour comprendre nos propres espaces et notre monde. Nos histoires sont imbriquées. On ne peut pas aborder son histoire nationale en faisant abstraction des histoires voisines, qui lui sont forcément liées. La pratique religieuse est elle aussi partagée, il est impossible de l’isoler. Mettre en relation différentes pratiques religieuses, comme un jeu de miroir, permet de mieux les comprendre.

C’est une illusion de croire que les autres sont très différents de nous. Lorsque l’on s’intéresse aux autres mondes, il est frappant de constater à quel point nous sommes liés par une histoire commune. Développer un regard à la fois synchronique et diachronique assez large sur notre histoire commune, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, aide à répondre à de nombreuses questions.

Cours sur l'islam bien suivis

Doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne, Pierre Gisel n’est pas surpris du succès des cours consacrés à l’islam: « Je m’y attendais car il y a toujours un vrai intérêt et une forte demande pour les cours qui touchent à l’islam. C’est l’un des secteurs, de manière générale, qui a le plus fort taux de croissance. C’est pourquoi nous voulons clairement continuer à développer ce champ ces prochaines années. »

Les cours de Monika Salzbunn, qui aborde un islam plutôt contemporain et socio-ethnologique, attirent près de 80 étudiants, même si tous ne sont pas immatriculés à Lausanne. « C’est le double de ce que je prévoyais. Ce taux très important nous réjouit, tout comme le fait que la fréquentation des cours réguliers d’introduction générale à l’islam de Jean-Claude Basset ait augmenté de 20%. Nous avons même dû changer d’auditoire, l’amphithéâtre habituel étant trop petit pour accueillir les quelques 60 étudiants », se réjouit Pierre Gisel.INFOS

Monika Salzbrunn aborde plus généralement la question des pratiques religieuses en contexte migratoire et accorde une place importante à l’analyse des pratiques dans l’espace urbain et à la perspective genre.

Auteure d’une thèse qui portait notamment sur les pratiques politiques et religieuses des musulmans sénégalais en France et en Allemagne, Monika Salzbrunn se propose d’aborder les théories contemporaines de la migration en partant d’exemples concrets qu’elle a côtoyés lors de ses nombreuses études de terrain en Europe, au Sénégal, aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande.