Le monde des simplistes a basculé

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Le monde des simplistes a basculé

Cédric Némitz
9 mars 2011
Cette histoire s’écrit désormais à l’imparfait.
Il y avait un doute, une incertitude: la liberté, l’égalité, le droit… toutes ces valeurs qui fondent notre vie démocratique, ne faisaient-elles référence que pour les pays occidentaux? Sous d’autres latitudes, quand l’histoire et la religion diffèrent, fallait-il imaginer d’autres repères? « Ce qui vaut pour un pays christianisé n’a pas cours en terre d’islam », disait-on. Vérité en deçà de la Méditerranée, mensonge au-delà…

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Au premier front de cet affreux soupçon, des religieux voulaient jouer les premiers rôles. Pour chaque foi ses valeurs, à chaque civilisation son système. Etrangement, les pires ennemis se sont fort bien entendus pour défendre cette thèse. L’évangélisme américain se nourrissait du salafisme saoudien. Et réciproquement. La vérité restait bien gardée dans chacun des camps. Tout allait pour le mieux: le diable sévissait en face! Et le pétrole continuait de circuler…

Ebranlée par cette funeste intrigue, la Déclaration universelle des Droits de l’homme s’est mise à vaciller sur son piédestal. Ebranlée par cette funeste intrigue, la Déclaration universelle des Droits de l’homme s’est mise à vaciller sur son piédestal. Ses principes unanimement reconnus après les horreurs de la Seconde guerre mondiale ont fini par être contestés. Abrités derrière le voile d’un islam astucieusement manipulé, certains régimes se sont prévalus de leurs particularités religieuses pour justifier des pratiques fort peu recommandables.

Il fallait par exemple limiter la liberté d’expression ou contester l’égalité entre hommes et femmes. Pour museler toute contestation dans les rangs occidentaux, on a tiré la ficelle de la culpabilité. « Les droits humains ne sont qu’une Xe version du colonialisme », a-t-on prétendu.

Cette piètre machination a avantageusement renforcé les préjugés anti-musulmans de l’autre côté. Les pays occidentaux, nourris au berceau du christianisme, se croyaient les seules contrées accessibles aux vertus républicaines. Du coup, dans ces mêmes nations européennes ou américaines, chaque musulman devenait un possible agent anti-démocratique, un terroriste en puissance, une menace pour nos libertés.

Pendant des années, les mouvements intégristes de tous poils, ici et là-bas, chrétiens, juifs et musulmans, ont fait leurs choux gras de cette dérive. Plusieurs partis et mouvements ont instrumentalisé le religieux pour engranger les voix. Evidemment sans s’inquiéter des coups de boutoir qu’ils infligeaient aux valeurs mêmes qu’ils prétendaient défendre.

Jusqu’à ce printemps 2011. Où l’histoire s’écrit désormais au présent. Jusqu’à ce printemps 2011. Où l’histoire s’écrit désormais au présent.

Des foules, bien arabes, bel et bien musulmanes, sont descendues dans les rues. Elles n’ont pas demandé l’instauration de la charia. Elles n’ont pas revendiqué le pouvoir pour Dieu ou ses religieux. Tout au contraire, de Tunis, du Caire et de Benghazi, s’est élevée une voix puissante pour réclamer la liberté, la justice et le droit. Ces hommes et ces femmes veulent plus de démocratie. Au fond, ils et elles attendent une vie meilleure. Ce que les Américains avaient appelé, dans leur première version des droits humains, la « recherche du bonheur ».

Leurs cris font basculer le monde des simplistes. Les valeurs démocratiques ressortent soudain de leur carcan occidental. Elles retrouvent la place centrale et universelle qui leur est due. Elles reprennent l’ampleur morale qu’elles n’auraient jamais dû perdre. Faut-il s’en étonner ? Faut-il s’en étonner ? Certainement pas. Car on avait oublié que les Droits humains font partie d’un patrimoine partagé sur tout le pourtour de la Méditerranée. C’est un héritage des écritures bibliques, dont juifs, chrétiens et musulmans sont dépositaires. Les règles démocratiques plongent encore leurs racines sous les oliviers de la Grèce antique. Les diatribes des vieux orateurs athéniens y ont résonné contre les tyrans. Leur pensée a essaimé à Alexandrie comme à Carthage, à Jérusalem comme à Rome. Leurs marques sur les consciences ne se sont jamais totalement effacées.

Ce printemps 2011 nous rappelle que nos aspirations au « bonheur » sont communes. Aucune religion dépravée, aucun pouvoir abusif ne pourra étouffer les ressorts qui les animent. Aujourd’hui, réveillés par l’émulation des réseaux internet, les peuples arabes nous rappellent que nous partageons les mêmes valeurs, les mêmes espoirs, les mêmes exigences au-deçà comme au-delà de toutes frontières culturelles ou religieuses. Les aspirations humaines à la liberté, à la justice et au droit sont et demeurent universelles. Les jeunes des pays arabes en ont tiré les conséquences et agissent. A nous de le faire désormais dans notre propre camp.

REPERES

Cédric Némitz

Journaliste et producteur de « Faut pas croire » et « Dieu sait quoi », magazines société et religions de la RTS – télévision suisse.

Né en 1967 à Malleray dans le Jura bernois. Licence en théologie aux Universités de Neuchâtel et Berlin.

En 1994, il devient pasteur de l'Eglise réformée Berne-Jura-Soleure. Il accomplit son ministère dans la paroisse réformée de Bienne.

Dès 2000, il effectue son stage de journalisme au Centre romand de formation des journalistes et à ProtestInfo, Lausanne.

Il devient rédacteur de la Vie protestante Berne-Jura et producteur/présentateur de «TelEglise», magazine des Eglises sur la chaine de TV locale biennoise TeleBielingue. Depuis 2009, il est responsable du Service protestant de télévision à Genève.


CITATIONS :
  • Aucune carte du monde n'est digne d'un regard si le pays de l'utopie n'y figure pas. Oscar Wilde
  • N'est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n'en aient pas ? Voltaire