L’enfer des mines: une entreprise suisse dans le collimateur des œuvres d’entraide

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L’enfer des mines: une entreprise suisse dans le collimateur des œuvres d’entraide

Gabrielle Desarzens
12 mars 2011
La population congolaise du Katanga extrait les richesses de son sous-sol dans des conditions déplorables pour le profit de multinationales comme Glencore en Suisse. Enquête à l’appui, les œuvres d’entraide tirent la sonnette d’alarme.




Filiale du conglomérat suisse Glencore, la société Katanga Mining Limited (KML) exploite l’une des mines les plus dangereuses de la ceinture du cuivre en Afrique. Les cours d’eau et la nappe phréatique sont contaminés par de l’uranium, du soufre, des résidus d’explosifs et du diesel.

Plus grand chiffre d’affaire en 2010 en Suisse avec 145 milliards de dollars, Glencore, qui a son siège à Baar (ZG), est épinglée par Action de Carême et Pain Pour le Prochain (PPP) au niveau du respect des travailleurs, de l’environnement, comme de la fiscalité. Cette société, qui est l’un des plus grands fournisseurs et négociants de matières premières au monde, s’assure un approvisionnement exclusif de six gisements clé du Katanga. Et ne verserait entre 2010 et 2013 qu’un million de dollar d’impôt au Congo RDC, dénoncent les principales œuvres d’entraide suisses.

Choquée par l'indifférence aux droits humains

« J’ai été extrêmement choquée au fil de cette enquête. Cela va bien au-delà de tout ce que j’avais vu et entendu jusque là en termes d’indifférence aux droits humains et à tout principe d’éthique économique. » Engagée à PPP, Chantal Peyer vient de mettre un terme au rapport intitulé « Contrats, droits humains et fiscalité : comment une entreprise dépouille un pays. Le cas de Glencore en RDC. »

Après le textile et sa campagne Clean Clothes dans les années nonante, son étude sur l’industrie électronique en 2007, la Campagne de Carême des œuvres d’entraide s’est concentrée cette année sur les matières premières, « où l’on rencontre les abus les plus extrêmes », commente-t-elle. Le constat : les richesses minières des pays du Sud sont pillées par des entreprises comme le conglomérat zougois.

En outre, « les mineurs creusent des trous et des tunnels, presque à mains nues, et sans aucun équipement de sécurité. Pour descendre dans les mines, dont la profondeur peut aller jusqu’à 40 mètres, les mineurs n’ont pas d’échelle. Leurs salaires sont risibles, 3 à 5 dollars par jour en moyenne », détaille l’enquête menée au Katanga et rapportée dans la trentaine de pages qui viennent d’être adressées à la presse comme à Glencore et KML.

Interpellée à son sujet, la maison-mère réfute les informations mentionnées dans le rapport. «Tous les employés de KML suivent des formations et des règles de sécurité, indique notamment par courriel un porte-parole de Glencore. En ce qui concerne l’environnement, nous prenons nos responsabilités. (...) KML paie des impôts à différents niveaux. Soit plus de 60 millions pour 2010.»

Tous les jours la nuit

Le Congo RDC est un pays riche en minerais, où près de 85% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. « Les populations du Sud ne profitent pas des richesses de leur sol. Elles en sont bien souvent les victimes, alors que les multinationales occidentales en sont les principales bénéficiaires », commente à Genève l’avocat François Membrez.

« La santé et la solitude des mineurs dans le monde n’intéressent personne, lui fait écho à Moutier le photographe et cinéaste suisse Jean-Claude Wicky. Seules les matières premières semblent avoir de la valeur et elles ne profitent jamais à ceux qui les extraient. » Au travers de photos qu’il a prises de mineurs en Bolivie et qui sont accrochées à Bienne dans l’église du Pasquart, cet homme rend compte du travail de ces gueules noires du Sud qui vivent « tous les jours la nuit », selon le titre du film qu’il propose dans diverses salles de Suisse romande.

Responsabilité du gouvernement suisse

Dans la foulée de leur rapport, les œuvres d’entraide demandent au Conseil fédéral d’adopter des politiques qui obligent les entreprises à respecter les droits humains, aussi dans le cadre de leurs filiales à l’étranger. Pour François Membrez, il y a aujourd’hui une responsabilité du gouvernement suisse en ce qui concerne sa politique de coopération : « on ne peut d’un côté avoir des projets de développement, et de l’autre des entreprises qui bénéficient du pillage de ressources naturelles, pillage qui est une violation du droit international humanitaire. »

Celui qui est aussi vice-président de Trial, une association qui se bat contre l’impunité des criminels de guerre, indique encore avoir eu l’occasion de se pencher sur certaines affaires qui démontrent la nécessité de réformes institutionnelles sur place pour combattre la criminalité. Et qu’il faut améliorer en Suisse la transparence de toute la filière d’extraction.

Le mois dernier, la presse rendait compte d’un autre rapport des Amis de la Terre et du collectif Counter Balance qui accablait les tours de passe-passe de Glencore en Zambie pour échapper au fisc. Le groupe se défendait en assurant que sa comptabilité était validée par un réviseur externe. En 2007, le gouvernement bolivien a saisi une mine d’étain de l’entreprise suisse, l’accusant d’avoir sous-payé les droits d’exploitation.

Infos

  • L’émission Hautes Fréquences revient sur ce dossier dimanche 20 mars à 20h sur Radio Suisse Romande La Première. Une série A Vue d’Esprit sur Espace 2 lui est consacrée du 28 mars au 1er avril.
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Le quotidien romand Le Temps vendredi 11 mars.