Bulle : de jeunes évangéliques "boostent" leur foi

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Bulle : de jeunes évangéliques "boostent" leur foi

Jean-Christophe Emery
14 mars 2011
Plus de 1500 jeunes étaient réunis ce week-end à l'Espace Gruyère de Bulle pour deux jours et demi de prière, de chant, de prédication et de catéchèse. Cette 19e édition a quitté Le Landeron (NE) pour prendre ses nouveaux quartiers, plus grands, en terre fribourgeoise.




Dans la grande halle, aménagée en salle de spectacle ultramoderne, un village d'exposants accueillait des organismes évangéliques - maisons de disques, ONG, partis politiques. Venus de toute la Suisse romande et du Tessin, les jeunes rattachés aux Eglises évangéliques, protestantes et catholiques, se sont enthousiasmés pour expérimenter "la présence de Dieu" dans la plus pure tradition charismatique. Quelques clés pour comprendre plus largement ce mouvement. Des options politiques spiritualisées

Présents dans la politique suisse au sein de l’UDF (Union Démocratique Fédérale) et du Parti Evangélique (PEV), les charismatiques ne sont en général pas très remuants, mais capables de faire débat si l’on se souvient que l’on doit l’initiative anti-minarets à l’UDF. S’ils ne partagent pas tous les mêmes options fondamentales sur l’échiquier politique, ils s’accordent, avec les autres groupes évangéliques et une partie des catholiques, sur certains thèmes éthiques sensibles. Les questions qui touchent à la sexualité – avortement, homosexualité, recherche biomédicale – génèrent souvent des réflexes conservateurs.

A l’occasion, ils savent être militants ou lobbyistes, mais c’est plutôt l’exception. Leur particularité réside dans la façon de spiritualiser certains thèmes politiques. Ainsi un discours vaguement patriotique mâtiné d’appels à la prière « pour la nation », de marches symboliques à travers le pays ou de rassemblements du 1er août, véhicule l’idée d’un particularisme helvétique. Bien qu’ils se défendent de tout nationalisme, ils réinvestissent, à leur manière, le « y’en a point comme nous » dans un jargon qui leur est propre.

Cette évolution est récente. A l’origine l’élan pentecôtiste concentre son discours sur des réalités intérieures. La chose politique est alors ignorée, voire même suspecte : elle relève de l’imperfection du monde, du compromis nécessaire. Progressivement, avec l’essor des mouvements charismatiques et la disparition des complexes minoritaires, des théories circulent sur la valeur spirituelle de l’engagement public.

L’américain C. Peter Wagner, l’un des seuls théoriciens de ce courant, popularise son idée de guerre spirituelle. L’engagement politique s’oriente dans l’idée d’un combat cosmique destiné à préparer la venue du Christ, promise dans l’apocalypse. Bien que ces idées extrêmes ne soient, en général, pas partagées par la masse des croyants, elles n’en restent pas moins potentiellement problématiques dans la gestion d’une société plurielle.

Une expansion fulgurante dans les pays émergeants

Très marginaux en Suisse, les groupes et églises charismatiques n’en sont pas moins enthousiastes, dopés par la croissance phénoménale de ce courant depuis quarante ans. Alors qu’ils ne représentent que 2% des Helvètes, ils mobilisent près de 20% de la population dans certains pays d’Amérique latine : au Chili et au Guatemala. On parle également de 20 à 30% de la population de Corée du Sud concernée.

Certains chercheurs estiment que ce courant pèse, aujourd’hui, plus du quart du christianisme mondial : au bas mot 500 millions d’individus. Cette croissance exponentielle est à mettre sur le compte d’un dynamisme missionnaire sans concurrence et d’une plasticité de cette spiritualité. Dégagé d’un carcan théologique structuré, le charismatisme flirte tantôt avec le chamanisme latino-américain ou l’animisme africain, tantôt avec le néo-libéralisme occidental.

Il offre avant tout l’intégration dans un groupe d’expérience qui permet au croyant de toucher la « présence de Dieu » dans la chaleur d’une musique entraînante ou l’appel au miracle et à l’exorcisme. En Amérique latine, les églises charismatiques représentent un ascenseur social sans égal. En Chine cette Eglise, dite clandestine, se fragmente en milliers de groupes de maison et cristallise une forme de contestation du régime rouge.

En Afrique subsaharienne, la concurrence avec l’Islam polarise ces Eglises et politise le débat. Partout fleurissent les théologies du succès qui, pêle-mêle, promettent guérison divine, progression sociale et solidarité communautaire moralisatrice. Seuls résistent l’extrême Orient, l’Asie centrale et le monde musulman. Même dans la vieille Europe, où la pratique religieuse traditionnelle régresse, les charismatiques ne baissent pas les bras et misent sur leur fantasme de toujours : un réveil spirituel massif.

INFOS :

  • ESPACE 2 diffusera une grande enquête en dix émissions autour de la croissance des charismatiques dans l'émission « A Vue d’Esprit » – du lundi au vendredi, de 10h30 à 11h00 – dès le 4 avril et pour deux semaines.

  • La PREMIERE diffusera un reportage consacré à cette Rencontre de Jeunesse le dimanche 10 avril à 20h, dans l’émission « Hautes Fréquences ».

Cet article a été publié dans :

Le quotidien fribourgeois La Liberté le lundi 14 mars.