Les diacres, avenir de l'Eglise ou son passé?

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Les diacres, avenir de l'Eglise ou son passé?

Tania Buri
19 avril 2011
Les diacres vivent un avenir incertain. Appelés souvent à remplacer les pasteurs, ils voient leurs spécificités disparaître. Certaines Eglises se demandent si elles ont encore besoin d'eux. Mais une Eglise qui se consacre uniquement à la transmission du message chrétien sans agir auprès de la population est-elle encore une Eglise? Un Forum tentera de répondre à ces questions les 13 et 14 mai à Montmirail (NE).




Récemment, la diminution des postes dans les Eglises protestantes romandes a provoqué l'effritement de l'activité diaconale, qu'elle soit accomplie par des pasteurs ou des diacres d'ailleurs, a relevé Mario Giacomino, président de l'association des diacres de Suisse romande (ADR). Parallèlement, les diacres ont commencé à remplir des tâches pastorales, en particulier dans le canton de Vaud.

La crise des vocations et le salaire moins élevé des diacres dans certains cantons (c'est le cas dans le canton de Vaud, Valais, Fribourg et Berne. A Neuchâtel et à Genève, en revanche, pasteurs et diacres gagnent la même chose) ont joué un rôle. Si ces diacres travaillant pratiquement comme des pasteurs se sentent bien pour la plupart dans ces postes, cela pose toutefois la question des ministères.
Un pied dans le monde et un pied dans l'Eglise « Au moment de ma formation, on disait que la diacre devait avoir un pied dans le monde et un pied dans l'Eglise. Je reste persuadé que c'est une chance pour les Eglises d'avoir des personnes, qui créent un pont entre le monde et l'Eglise. Surtout à un moment où l'on constate que les gens s'éloignent des Eglises. Si l'on n’a pas d'ambassadeurs auprès du monde, comment va-t-on faire pour rejoindre les gens là où ils sont ? » a poursuivi le diacre valaisan.

A l'origine du Forum, il y a les diacres qui veulent attirer l'attention sur leur sort, mais surtout sur le rôle de l'Eglise dans la société. « Avec tous les bouleversements qu'ont connus les Eglises, c'est la diaconie, le service auprès du prochain, qui en a pâti, alors qu'il s'agit du second pilier de l'action de l'Eglise. Si aujourd'hui les gens souffrent, crient, murmurent, qui est prêt à les entendre? Qui est prêt à faire quelque chose? Je pense que l'Eglise doit encore jouer ce rôle », a souligné M. Giacomino.

Quand on est en souci sur son propre sort, on a plus de peine à être à l'écoute de la difficulté des autres, mais on ne peut pas en tant qu' Eglises se recroqueviller sur nous-mêmes et ne plus jouer notre rôle qui est essentiel pour la société. Autrement, c'est l'essence même de l'Eglise
qui se perd. Les Eglises vivent de grandes réorganisations, qui les poussent à se concentrer sur elles-mêmes. « Quand on est en souci sur son propre sort, on a plus de peine à être à l'écoute de la difficulté des autres, mais on ne peut pas en tant qu' Eglises se recroqueviller sur nous-mêmes et ne plus jouer notre rôle qui est essentiel pour la société. Autrement, c'est l'essence même de l'Eglise qui se perd. Et c'est cela que nous allons essayer d'aborder lors de ce Forum », a lâché le porte-parle des diacres.

« Après, que le travail diaconal soit fait par des diacres ou des pasteurs, c'est une question, mais pas la plus essentielle. Il n'y pas de tabou. Cependant, dans la mesure où on continue à former des diacres, on peut se poser la question de la spécificité de leur ministère. De la même manière qu'il serait stupide de former des théologiens et de ne jamais leur demander de faire de la théologie », selon le Valaisan.

Un des buts du Forum, organisé par l'ADR, conjointement avec l'Office (romand) protestant de formation (OPF) et la conférence de diaconie de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), est de reposer la question de la formation des diacres. « Les diacres doivent pouvoir répondre aux besoins des Eglises. Nous visons une formation de niveau HES. Cette formation devrait se pratiquer en grande partie en cours d'emploi. La formation pourrait être de type modulaire et reconnue sur le plan fédéral », a précisé M. Giacomino. De ce fait, les différences salariales s'estomperaient car il s'agirait de tenir compte d'un niveau de formation supérieure qui ne serait plus très éloigné d'une formation universitaire.



Le cas vaudois: le plus grand employeur
romand constate l'interchangeabilité

« La situation actuelle est insatisfaisante », a expliqué Xavier Paillard, conseiller synodal vaudois à ProtestInfo. Les pasteurs et les diacres occupent presque indistinctement la plupart des postes ministériels, mais les diacres, moins bien formés théologiquement, sont moins bien payés.

Sur le terrain, les différences entre les deux types de ministère apparaissent peu, sinon pour la célébration du culte et, en particulier, l’administration des sacrements: le baptême et la cène. Ce nivellement et cette interchangeabilité font que, depuis 1985, le synode vaudois n'est pas content de la théologie des ministères et demande que cette question soit reprise, comme celle de l'articulation des formations, des salaires, et des actions sur le terrain. Un rapport et des débats au synode sont agendés en 2012 et 2013.

L'idée de lancer des ministères diaconaux dans les Eglises protestantes romandes dans les années 70 visait à diversifier le ministère. Il s'agissait de développer l'action sociale de l'Eglise et de mobiliser des forces nouvelles pour pallier (déjà) à des problèmes de pénuries. "Dans la réalité, les ministères se sont diversifiés, mais les pasteurs et les diacres les occupent indifféremment", a relevé le pasteur vaudois.

Des laïques plutôt que des diacres?

Jusqu'à récemment, le canton de Vaud exigeait que l'Eglise travaille avec des pasteurs et des diacres consacrés. L'Eglise vaudoise est désormais son propre employeur, ce qui change la donne. « Nous pourrions donc engager des laïcs », a poursuivi M. Paillard. De plus, les catholiques avec qui les réformés vaudois collaborent dans une dizaine de missions communes - qui rassemblent une soixantaine de postes - engagent des laïcs et ne comptent pratiquement pas de diacres dans leurs rangs.

« C'est pour nous une piste intéressante. Mais si nous la suivions, quel serait l’avenir du diaconat ? Aujourd'hui, nous sommes à un carrefour », souligne le conseiller synodal. Environ 300 personnes travaillent pour l'Eglise vaudoise, dont une cinquantaine de diacres.

Les Eglises ont-elles encore besoin des diacres?

“Oui, que l’Eglise ouvre toutes grandes ses portes à cette diaconie qui est vraiment indispensable. Que ferions-nous sans toutes ces personnes qui sont de bonne volonté et qui veulent aider les autres, qui sont là pour les soutenir et qui mettent tout leur savoir-faire à disposition des autres ?, s'enthousiasme Sœur Marie-Ernest, créatrice et animatrice de l’Hôtel-Dieu de Sion (VS) dans un documentaire, tourné par la diacre Alexandra Urfer Jungen et qui sera présenté lors du Forum à la mi-mai.

« La spécificité du pasteur, c'est sa formation théologique et herméneutique, sa capacité à interpréter la parole, la société et à les interconnecter entre eux. Cette formation est centrale dans le ministère de la parole de l'Eglise, a poursuivi le vice-président du conseil synodal vaudois. Et s'il y a une distinction entre les diacres et les pasteurs, c'est bien cette formation théologique et herméneutique forte des pasteurs. »

« Le paradoxe complet, c'est que les diacres ont été autorisés à prêcher, mais ils n'ont pas été autorisés à célébrer les sacrements. On leur refuse l'accès aux fonctions de la prêtrise, le baptême et la cène. C'est ridicule en régime réformé», a relevé M. Paillard.

Et les prédicateurs laïcs ?

« Nous n'avons pas besoin de prédicateurs laïcs. Ce qui manque, ce ne sont pas les pasteurs, les diacres ou les prédicateurs, ce sont les gens pour prendre part activement au culte. Si on part du principe que l'on doit desservir toutes les églises du canton et faire des cultes dans chacune d'entre elles, même si elles sont vides, dans ce cas, évidemment que l'on a besoin de prédicateurs laïcs. Mais ils prêcheront dans le désert », a conclu le Vaudois. L'EREN a opté pour les diacres
L'EREN a tranché. Les diacres font intégralement partie de l'Eglise du 21e siècle, a expliqué Fabrice Demarle, responsable des ressources humaines de l'Eglise protestante neuchâteloise, en se référant à une décision prise en 2009 par le conseil synodal. Cette position de principe vient encore d'être renforcée.

Alors que l'EREN se débat avec des finances amputées après le départ de Philip Morris, elle n'entend pas couper dans ses activités diaconales, a souligné M. Demarle. Cette orientation ressort des débats organisés début avril à Bevaix où près de 130 personnes ont planché sur l'avenir de Eglise protestante neuchâteloise (lire l'article publié par ProtestInfo à ce sujet).
Aller à la rencontre L'une des plus petites Eglises de Suisse romande a commencé à réfléchir aux différents ministères dès les années 90. « La diaconie pour moi, c’est être au service de l’autre. Mais par rapport à ce que je fais dans mes différents ministères, je dirais plutôt aller à la rencontre de l’autre. Dans ce sens-là, l’Eglise se doit d’aller à la rencontre des personnes là où elles sont aussi, que ce soit avec le troisième âge dans les EMS, que ça soit les marginalisés à la Chaux-de-Fonds ou dans la rue. Moi, je trouve important d’aller là où les gens sont et puis d’y apporter ce qu’on veut bien y apporter. On va dire une parole, une promesse, oui ! Mais avant tout un contact humain », a expliqué Sébastien Berney, aumônier des Homes du Val-de-Travers et aumônier de rue à la Chaux-de-Fonds dans un documentaire consacré à la diaconie.

Le travail en équipe, des paroisses plus grandes et des projets menés au niveau interparoissial ont aussi joué un rôle dans le renforcement du rôle du diacre.

« Nous sommes en train de former notre 3e diacre en cours d'emploi », a poursuivi Fabrice Demarle. Dans les autres cantons, la personne qui se destine à être diacre, mène de front son activité professionnelle hors Eglise et sa formation de diacre. A Neuchâtel, le futur diacre travaille déjà pour l'Eglise et suit sa formation en parallèle. Idem pour les pasteurs neuchâtelois.

Comme l'ADR, l'EREN entend que les diacres répondent à une plus grande exigence de professionnalisme et que leur formation soit mieux certifiée. Le sort des diacres est entre les mains des six Eglises de Suisse romande, mais compte tenu des différences de taille, l'Eglise vaudoise joue un rôle prépondérant à titre d'employeur comme dans l'avenir ou non d'une formation romande renforcée.

DES CHIFFRES

  • *Vaud : 221 pasteurs, 51 diacres, 29 laïques
  • Genève : 63 pasteurs (21 femmes), 8 diacres (2 femmes), 2 laïques (2 femmes)
  • Neuchâtel : 46 pasteurs, 12 diacres, 13 permanents laïcs (répartition hommes-femmes pratiquement égale)
  • Berne francophone (Bienne et Jura bernois + paroisse francophone de Thoune et Berne)
    28 pasteurs (7 F), 3 diacres (1 F), 18 laïcs
  • Jura : 10 pasteurs (2 F), 1 diacre
  • Valais : 10 pasteurs, 3 diacres, 1 laïc
  • Fribourg : 19 pasteurs (7 F), 4 diacres (1 F), 1 laïc

*Pour l'ensemble des données, il s'agit de personnes et non d'équivalent plein temps.

Actuellement, les diacres doivent disposer d'un CFC et avoir exercé un métier au moins deux ans, être âgés de moins de 50 ans, suivre un cours de culture théologique (du type des Cèdres à Lausanne), puis suivre une formation en cours d'emploi sur deux ans et demi. Les diacres sont consacrés en Suisse romande, ce qui n'est pas le cas en Suisse alémanique. En moyenne, une dizaine de personnes s'inscrivent à la formation tous les deux ans, un chiffre relativement stable.