Aucune femme ne subit une interruption de grossesse par plaisir

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Aucune femme ne subit une interruption de grossesse par plaisir

Jean Martin
19 octobre 2011
On a appris début septembre que l’initiative populaire qui entend retirer l’interruption de grossesse (IG) de la liste des prestations prises en charge par la LAMal a abouti. A noter que, dans le cas présent, les initiants ne cherchent pas à abolir le régime du délai qui vaut en Suisse depuis une votation populaire de 2002.


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Toutefois, ce n’est certainement pas l’envie qui manque, si on considère les associations et personnes qui la soutiennent, et dont les positions rigides en la matière, dans une sorte d’aveuglement, sont de notoriété publique.

Plutôt, constatant l’échec répété de leurs démarches si bien disantes à première vue, mais qui à la manière du XVIe ou XVIIe siècles, réintroduiraient dans nos sociétés une manière d’autoritarisme vertueux, qui entend contrôler les corps aussi bien que les consciences, les initiants choisissent (« Salamitaktik ») de porter le débat sur un terrain limité auquel l’électeur est sensible, à savoir la réduction des coûts : ce n‘est pas aux bon(ne)s citoyen(ne)s de payer pour ces hédonistes sans morale. NB : au reste, pas nécessaire de prendre la peine de rechercher une évaluation quantitative pour apprécier que le coût global de l’IG ne pèse pas lourd dans le facture de la santé…

De l’irruption regrettable du populisme idéologique dans le domaine médico-social. A noter que les milieux initiants ne font pas l’unanimité dans leurs rangs. Au sein de l’UDC par exemple, ce sont comme de coutume des têtes idéologiques - dont selon beaucoup d’observateurs les propos montrent souvent un rapport bien lâche avec les faits et la vérité - qui « tirent le char ».

De façon non usuelle, plusieurs de leurs suiveurs émettent publiquement des critiques. Ainsi, il y a peu, un député UDC atypique et remuant émouvait le landerneau vaudois en adressant une volée de bois vert à ses coreligionnaires - et particulièrement, dans un groupe politique au demeurant plutôt machiste, aux femmes - qui s’associent à l’initiative.

Assez de considérations politiques. On ne peut que rester perplexe quand, en 2011, des milliers d’entre nous ignorent à tel point les difficultés suscitées, chez des femmes, dans les couples et les familles, par une grossesse lourde à porter ; la perplexité devient un vrai choc quand ces citoyens-initiants sont des femmes.

Consciemment ou pas, on choisit de ne pas donner attention à quelques éléments : 1) aucune femme ne subit une IG par plaisir ; 2) personne n’aime l’IG, qui est toujours un échec regrettable mais qui, en particulier selon les conditions de vie des gens, peut être compréhensible ; 3) une carrière de santé publique, au contact des soucis de santé d’une collectivité, m’a démontré comme à beaucoup d’autres que le régime du délai que nous connaissons depuis 2002 est la moins mauvaise solution légale.
Régimes punitifs : IG clandestines De loin la moins mauvaise (oui, il n’y pas de solution idéale au fait social de la grossesse problématique). Les régimes punitifs que notre pays et d’autres ont connus ne font que multiplier les IG clandestines et leur cortège de complications et de morts.

Le grand William Osler parlait des « maladies sociales avec des aspects médicaux ». A propos de tuberculose et de maladies infectieuses liées au manque d’hygiène mais aussi de malnutrition et de ses conséquences, et d’autres pathologies où la pauvreté et les mauvaises conditions socio-économiques jouent un rôle prédominant. D’un point de vue de santé publique, il est clair que, pour l’essentiel, l’interruption de grossesse entre dans ce cadre.

Retirant de l’assurance de base la prise en charge de l’IG, on ferait de ces femmes des réprouvées. Il importe aussi de rappeler que l’IG est plus fréquente dans les milieux défavorisés, parce que jeunes filles et femmes y sont moins informées et ont moins accès au planning familial.

Le différentiel social (des risques de difficultés et de malheurs comme, à l’inverse, des chances de disposer aisément des moyens de se sortir d’un mauvais pas) est ici majeur. Et il est attristant enfin de constater que des gens affirmant des convictions chrétiennes soutiennent cette démarche insensible à la réalité et qui creuserait un peu plus les inégalités. Je suis pour ma part attaché à la notion que la charité est la première vertu chrétienne.


BIO EXPRESS


Jean Martin : médecin de santé publique. Après avoir passé huit ans outre-mer (Amazonie péruvienne, Etats-Unis où il a acquis une maîtrise de santé publique, Inde avec l’OMS, Cameroun), a intégré le Service de la santé publique vaudois, où il a travaillé un quart de siècle – en étant médecin cantonal de 1986 à 2003.

Au comité de plusieurs organisations du médico-social et de l’humanitaire. A été dix-sept ans membre du comité de Swissaid, fondation pour le développement. Actuellement, en plus d’Appartenances, comité du Centre social protestant-Vaud et présidence de la section vaudoise de la LICRA.

Membre d’honneur de la Société suisse pour la politique de la santé et de Santé Publique Suisse (dont il est encore membre du Conseil de politique de santé).

S’est beaucoup intéressé professionnellement aux enjeux de bioéthique. Est membre de la Commission nationale suisse d’éthique et du Comité international de bioéthique de l’UNESCO. Ecrit, notamment dans le Bulletin des médecins suisses et dans des quotidiens (24 Heures, Le Temps). Auteur ou directeur de publication d’une douzaine d’ouvrages.

Marié, trois enfants et trois petits-enfants.


CITATIONS :
  • « Quiconque croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est un fou ou un économiste » - Kenneth Boulding (1910-1993)

  • « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse » - Albert Camus