
Pastorat: «Les facultés revendiquent le maintien de leur monopole»
Un lieu de formation théologique peut-il être confessant? Telle est la question qui sous-tend les accusations récentes formulées par un professeur honoraire de l’Université de Lausanne à l’endroit de la HET-pro, haute école de théologie protestante sise à Saint-Légier (VD). Or, si les facultés de théologie protestante de Genève et Lausanne ne jurent aujourd’hui que par une posture académique distanciée de toute croyance personnelle, il n’en est pas de même du côté catholique.
A la Faculté de théologie de Fribourg, la foi personnelle des étudiants et enseignants y semblerait d’ailleurs presque un prérequis. Dans ses statuts tout du moins, il est précisé que la faculté est toujours «placée sous la responsabilité des autorités de l’Eglise catholique» en matière doctrinale et que ses enseignants sont soumis à l’évaluation de leurs «bonnes mœurs» par la Conférence des Evêques suisses.
Une politique qui tranche radicalement avec le positionnement actuel des facultés de théologie protestante romandes. Leur prise de distance avec les Eglises réformées il y a une vingtaine d’années n’a d’ailleurs pas toujours été du goût de ces instituions ecclésiales. Explications avec le pasteur Jean-Baptiste Lipp, qui vient de quitter fin décembre la présidence de la faitière romande des Eglises réformées (CER).
Comment expliquer la méfiance universitaire envers la HET-Pro?
Pour «nos» facultés, la co-fondation de la HET-Pro par des acteurs du monde évangélique et du monde réformé dit confessant pose problème sur plusieurs plans dans le paysage romand. Géographiquement, ce sont des «parts de marché» disputées sur un même territoire. Historiquement, c’est une remise en question de la voie traditionnelle qui lie les Eglises et les facultés en termes de formation et d’exigence. Enfin, la HET-Pro est souvent caricaturée, au même titre que certains milieux évangéliques, comme une institution conservatrice radicale, voire homophobe ou islamophobe.
Des critiques légitimes à vos yeux?
Cette vision me semble infondée et insuffisante. Elle repose sur une opposition idéologique et institutionnelle, qui est davantage de l’ordre du préjugé que d’une réelle évaluation des contenus et des pratiques. C’est une posture de défense par l’attaque. Les facultés semblent considérer la HET-Pro comme un intrus suspect parce que se présentant sous le jour d’un œcuménisme intra-protestant. Quid alors de notre discours valorisant un pluralisme réformé?
Que penser d’un positionnement confessant dans le cadre d’études théologiques?
Tout laisse croire qu’être confessant au sein de l’université soit perçu comme un manque de sérieux. Certes, il est nécessaire pour les futurs ministres d’interroger leur foi en l’exposant honnêtement à une démarche critique. Il en va de la crédibilité d’une foi éprouvée pour de futurs pasteurs. Cependant, ce protestantisme académique libéral semble vouloir s’émanciper d’une mission première de formation au pastorat, où la foi reste évidemment un enjeu.
Cette posture est-elle propre au protestantisme réformé?
En effet. Dans les facultés catholiques, comme celle de Fribourg, la dimension confessionnelle est pleinement assumée, sans que cela ne pose problème. L’Eglise catholique a gardé une forte influence sur la formation théologique et la nomination des professeurs, assurant par là même une continuité dans la formation des futurs prêtres.
Quels liens les Eglises réformées ont-elles aujourd’hui avec les facultés de Genève et Lausanne?
À Genève, la faculté conserve un lien organique avec l'Église protestante de Genève (EPG), puisque l'Église finance une partie des postes d’enseignants (25%, ndlr.). En revanche, depuis la création à Lausanne de la Faculté de théologie et de sciences des religions (FTSR) en 2006, celle-ci ne se conçoit plus d’abord comme une école de formation pastorale. De fait, les Eglises doivent désormais composer avec des formations qui ne répondent pas toujours à leurs besoins.
Est-ce à dire que le lien entre les Eglises et les facultés a été rompu?
Pas exactement, car outre le lien organique qui les unit à Genève, la FTSR se voit encore confier la délégation de trois professeurs au Synode (législatif) de l’EERV et d’un autre à la Commission de consécration. Le lien est cependant asymétrique, puisque l’EERV n’est plus associée à la FTSR. Dans le même temps, les facultés revendiquent le maintien du monopole en matière de formation. C’est un vrai paradoxe.
Les Eglises sont-elles satisfaites de cette situation?
Lorsque les Eglises souhaitent exprimer leurs besoins aux facultés, elles ne peuvent, hélas, les leur transmettre que de manière informelle. Il arrive alors que les Eglises puissent être entendues. J’en veux pour preuve notre demande de restauration d’un cours de missiologie ou encore de mise en place, toute prochaine, d’un master professionnalisant sur deux ans et demi pour des personnes ayant déjà un parcours académique.
Au vu de la pénurie pastorale, ce monopole fait-il donc toujours sens?
Les Eglises réformées pourraient à l’avenir engager des diacres ou des animateurs d’Eglise formés à la HET-PRO, moyennant quelques compléments de formation théologique réformés. Il n’appartient pas aux facultés d’interdire cette possibilité aux Eglises, seules habilitées à en décider. Leur avis doit rester consultatif et non normatif. En revanche, facultés et Eglises devront se mettre ensemble autour d’une table pour réguler les exigences requises le jour où la HET-PRO serait reconnue, et même anticiper ce jour. Si les Eglises ne prennent pas le leadership sur ces questions de manière concertée, ce sont les facultés qui le feront par défaut.
Dissymétrie entre Genève et Lausanne
Alors que la Faculté de théologie et de sciences des religions de Lausanne (FTSR) s’est éloignée de la mission première de former la relève des Eglises réformées, allant jusqu’à les faire disparaître de son règlement à partir de 2007, la situation se révèle tout autre à Genève. En effet, dans les derniers statuts de la Fondation de la Faculté autonome de théologie protestante de Genève, en date de 2012, le souci de servir les Eglises est clairement mentionné en préambule. Les parties constituantes, à savoir l’Etat de Genève et l’Eglise protestante de Genève, se disent «conscientes de la nécessité d’assurer une implication des Eglises membres de la CER (Conférence des Eglises romandes) dans l’enseignement de la théologie protestante de Suisse» et «soucieuse de répondre au besoin des Eglises relatif à la formation académique des pasteurs».