Le massacre des innocents
Par Muriel Schmid, Salt Lake City
Juste après la lecture du texte biblique, elle nous rappelle brièvement, le coût terrible de la naissance de Jésus alors que les mages décident de retourner dans leur pays sans révéler à Hérode où se trouve Jésus comme il le leur avait demandé : « Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire. » (v. 16)
Et de nous dire : « Si les mages avaient obéi à Hérode, seul l’enfant Jésus aurait probablement été tué ; au lieu de cela, de nombreux autres enfants sont sacrifiés. » On vient de commémore le massacre des innocents ces 28 et 29 décembre derniers !
Dérangeante "Histoire du Salut"Je reste accrochée à cette hypothèse ; formulée ainsi, elle met soudainement en perspective tout ce qu’il y a de dérangeant dans ce que l’on appelle « Histoire du Salut ». De tous les tours et détours que Dieu se plaît à prendre pour sauver l’humanité, celui-ci demeure profondément choquant et nous renvoie à tous les autres événements violents de cette histoire. L’historicité du massacre est maintenant clairement disputée et les théologiens nous en offrent en échange une lecture allégorique : Matthieu afin d’établir pour son auditoire un parallèle entre Jésus et Moïse —Jésus est le nouveau Moïse— fait allusion au début du livre de l’Exode.
En effet, lorsque le Pharaon ordonne que les nouveau-nés mâles israélites soient tués afin de réduire leur descendance, Moïse tout comme Jésus échappe au massacre. Par ailleurs, toujours sur le plan théologique, les innocents massacrés représenteraient les prémices du salut offert en Jésus.
Michel Bavaud: « Je ne conçois pas une théologie qui soit autre chose qu’une libération des injustices, celles que nous commettons… et celles qu’on nous impose qui s’appellent injustice sociale, injustice politique.En relisant l’interprétation de ce passage, je ne suis pas satisfaite par les réponses apportées. Même si le massacre n’a pas eu lieu tel quel, son statut théologique demeure problématique et il semble bel et bien que ce massacre aurait pu être évité. De plus, le parallèle avec Exode ne fonctionne pas vraiment : dans le récit de l’Exode, Moïse échappe à un massacre programmé ; chez Matthieu, taire l’emplacement exact de la naissance de Jésus conduit au massacre.
Ce qui fait se rejoindre ces deux récits, c’est le contexte de l’oppression et l’existence de pouvoirs politiques qui massacrent les innocents. Tout de suite, on pressent alors de fortes résonnances avec le contexte mondial de cette fin 2011 et début 2012 : la Syrie nous vient à l’esprit, mais elle n’a certes pas le monopole de la répression.
Souvent, face à de tels faits, les commentaires journalistiques oscillent entre « c’est le prix à payer pour la liberté » ou « c’est simplement inadmissible et rien ne le justifie ». Une reprise, en quelque sorte, des interprétations et réactions face à notre passage chez Matthieu : la fin justifie-t-elle les moyens ?
Dans son récent pamphlet coup de gueule, Dieu, ce beau mirage, Michel Bavaud confesse : « Je ne conçois pas une théologie qui soit autre chose qu’une libération des injustices, celles que nous commettons… et celles qu’on nous impose qui s’appellent injustice sociale, injustice politique » (p. 27). J’ai aimé son coup de gueule, c’était mon cadeau de Noël, pour de vrai (j’ai reçu le livre à cette occasion) et théologiquement. Et je pense à tous les innocents massacrés pour un salut encore bien éloigné de nous.