Pasteure avec un « e »

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Pasteure avec un « e »

16 janvier 2012
Comment se passe le quotidien d'une pasteure ? Qu'est-ce qui l'a poussée vers cette profession ? En quoi consiste vraiment ce métier ? A quels défis sont confrontés les gens d'église aujourd'hui? Diane Friedli, 31 ans, est pasteure à Cortaillod (NE), dans la paroisse du Joran. La radio locale RTN lui a consacré une émission, dans la série « Dans ma bulle » le 13 décembre dernier.

Entretien avec Sophie Corpataux, la radio locale neuchâteloise, RTN

Qu'est-ce qui peut pousser une jeune femme pasteure ? C'est vrai qu'a priori, ce choix peut surprendre. Pour Diane Friedli, il n'y a pas vraiment eu de déclic. Cela s'est imposé petit à petit. Elle s'est d'abord intéressée à l'histoire des religions, ce qui l'a menée vers des études de théologie. Et puis ensuite seulement s'est posée la question du stage pastoral. Un stage d'une année qui lui a plu. Au fond ce qu'elle a apprécié et qui lui plaît encore aujourd'hui, c'est l'essence même de ce métier et c'est quelque chose de très simple.

« On a finalement une seule chose à dire »

« On a finalement qu'une seule chose à dire. Tout l'exercice, c'est de le dire à chaque fois différemment, explique le jeune femme. Notre métier est un métier d'interprète, de traducteur du message de l'Evangile. Donc quand je rencontre une personne, à chaque fois d'un âge différent et dans une situation de vie particulière, je me demande comment lui parler. J'emploie d'autres mots, s'il s'agit d'un adolescent, d'un enfant, d'une famille en deuil, d'une personne aisée ou de quelqu'un, qui a du mal à finir ses fins de mois. »

« Ce travail d'interprète me plaît comme de nouer des contacts. Dans le village, on rencontre tout aussi bien les petits enfants que les arrières grand-parents, des personnes issues de toutes les couches de la société. J'aime cette diversité. Il n'y a pas beaucoup d'autres situations dans lesquelles vous nouez autant de relations. »

A 31 ans, Diane exerce son métier depuis six ans. Le fait d'être jeune dans ce métier, est-ce un atout ou un désavantage ? A-t-elle réussi d'emblée à se faire prendre au sérieux ? « C'était une crainte que j'avais au début. Je me demandais comment allaient réagir les personne aux vies bien remplies en se retrouvant face à moi. J'ai été étonnée, mais elles m'ont fait confiance et n'ont pas hésité à se livrer, même si parfois, j'ai rencontré des gens surpris. »

« On s'attend à voir un vieux barbu arriver »

Et le fait d'être une femme ? « On s'attend à voir un vieux barbu arriver. Alors quand c'est une jeune femme qui débarque, cela défait quelques clichés sur le pasteur. Pour moi, ce n'est pas du tout quelque chose d'étonnant. Dans l'Eglise neuchâteloise d'ailleurs, plus de la moitié des pasteurs sont des femmes.»

Et comment cela se fait-il que plus de la moitié des pasteurs sont des femmes à Neuchâtel? « Il y a des raisons, je pense, toutes pratiques. C'est un métier et c'est aussi une institution qui favorise le travail à temps partiel et qui offre une totale égalité salariale et de conditions de travail. Ce sont des choses très basiques, mais importantes aussi dans notre choix professionnel. »

Je dirai que pour une partie de mes amis, c'est quelque chose d'extraterrestre que d'être pasteure.

Et quand vous avez annoncé à votre entourage que vous vouliez faire ce stage pastoral, y a-t-il eu des gens surpris? « Je dirai que pour une partie de mes amis, c'est quelque chose d'extraterrestre que d'être pasteure. Mais je suis contente de ne pas avoir des amis qu'au sein des milieux d'églises. Je trouve intéressant de garder des liens avec d'autres personnes, pour qui c'est un peu étrange de travailler dans une Eglise. »

Oui, j'imagine que quand vous remplissez un formulaire et que vous inscrivez la profession de pasteure... « Il n'y a jamais la bonne section sur les listes déroulantes... », enchaîne la Neuchâteloise.

Difficile d'imaginer ce qu'est le travail de la pasteure. « Il s'agit de célébrer le culte, mais c'est bien plus que cela. Cela fait d'ailleurs partie des gags qui se disent entre les pasteurs : 'De toute façon, on ne travaille que le dimanche matin.' Ce sont des clichés qui sont assez répandus, parce que les gens ne savent pas vraiment ce que font les pasteurs le reste de la semaine. »

Exactement. Il faut que vous nous l'expliquiez. « Tous les pasteurs ont des journées différentes. Personnellement, je consacre une grande partie de mon travail à la jeunesse et à l'enfance. J'imagine et je prépare des animations qui soient ludiques, agréables, mais aussi réflexives. Je cherche le langage et la manière pour parler aux enfants et aux adolescents. Je forme aussi de jeunes adultes à l'animation des plus jeunes, parce que je crois qu'il n'y pas mieux qu'un jeune adulte ou un ancien ado pour parler à un ado. »

Elle poursuit son énumération : « Je visite des personnes, je prépare des cérémonies, je suis à disposition des familles quand il y a un deuil, je prépare le culte dominical. Le culte dure une heure le dimanche matin, mais c'est une douzaine d'heures de travail pour le préparer. »

Comment prépare-t-on un culte?

Que fait la pasteure pour préparer le culte ? « Il faut choisir un texte biblique, un ou plusieurs, l'étudier, réfléchir comment mettre ce texte en lien avec une réalité de notre existence. Lire, penser, rédiger une prédication, cela prend une dizaine d'heures. Il faut encore choisir les chants. Un culte, cela se construit. C'est un des côtés passionnants du travail parce que l'on doit toujours se renouveler. »

Parlons des cérémonies que vous êtes amenés à célébrer : le mariage, le baptême et l'enterrement. Un préféré ? « C'est très différent. Un baptême, cela se passe pendant un culte. C'est un moment pendant lequel on peut lier un contact avec une famille, souvent peu engagée dans l'Eglise. C'est bien de vivre le culte traditionnel avec des gens qui viennent un peu d'ailleurs, de vivre ce moment-là où il y a deux types d'auditoire qui se rencontrent. »

Le mariage ? « C'est le plus souvent agréable. Grâce au long temps de préparation, on peut construire ensemble une cérémonie qui ressemble aux mariés, une cérémonie qui leur parle, pendant laquelle ils peuvent dire quelque chose d'eux-mêmes. »

« Dans les services funèbres, cela peut paraître étrange à dire, mais j'aime beaucoup le lien que l'on peut créer avec les familles. C'est très court. On rencontre les gens. Et deux jours après, on vit la cérémonie. Mais ce sont des moments où les personnes sont vraiment prêtes à s'ouvrir et à dire des choses qu'elles ne livreraient pas dans d'autres circonstances. »

« Evidemment parfois, il y a des moments qui sont difficiles à gérer et assez lourds pendant la visite ou la cérémonie. J'essaie de me dire dans ces cas-là que ce n'est pas le lieu pour moi d'exprimer mes propres émotions. Je me rappelle que je suis dans un rôle. Ce n'est pas seulement moi qui suis là, mais moi en tant que pasteure. Mon rôle à moi, c'est de proclamer une espérance, de permettre aux gens de dire ' adieu ', d'accepter la mort et de vivre leur temps de deuil. »

Diane travaille avec les jeunes. Selon elle, ils vivent leur spiritualité différemment. « Evidemment que les jeunes se posent la question du sens de la vie. Mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils la vivent de la même manière et sous la même forme que les générations précédentes. Il faut être à l'écoute de ce qu'eux ont envie et besoin de vivre. Je pense qu'une des choses importantes pour eux, ce sont les relations. C'est le côté communautaire, le groupe plus que la forme plus traditionnelle du culte dominical qui les intéresse ».

Je dénigrerais pas le fait de 'juste être ensemble', je crois que c'est fondamental dans la foi : cela ne se vit pas tout seul dans son coin.

Ils ont besoin d'une autre façon de vivre leur foi que celle des générations précédentes qui vont à l'Eglises le dimanche matin ? « Oui, c'est faux d'attendre que les jeunes rejoignent les bancs d'Eglise du dimanche matin et qu'ils fassent exactement ce qu'ont fait les générations précédentes. Leur foi ? C'est surtout partager des moments ensemble et vivre des temps forts. »

Est-ce qu'ils font ça dans le seul but de se retrouver entre jeunes? parce que finalement c'est l'occasion de faire une soirée ou de vivre un camp, est-ce qu'il y a vraiment là derrière une réflexion sur le sens de la vie ? « On leur offre la possibilité d'être ensemble.

Je dénigrerais pas le fait de 'juste être ensemble', je crois que c'est fondamental dans la foi : cela ne se vit pas tout seul dans son coin. Etre ensemble ? On apprend à trouver sa place, à mettre les talents des uns et des autres en commun, à reconnaître ses propres faiblesses aussi. Et savoir que l'on est accepté tel que l'on est dans un groupe, ce n'est pas rien. Etre ensemble, c'est une manière de vivre la foi. Pour moi, c'est assez fondamental. »

« Sur le terrain, on se sent soutenu »

ProtestInfo:
N'est-ce pas difficile de travailler dans une Eglise de moins en moins forte financièrement? donc moins soutenue par la population et les pouvoirs publics?

Diane Friedli: « Sur le terrain, on se sent soutenu. C'est un fait que les gens sont moins attachés aux institutions qu'auparavant, pas seulement dans les églises, mais aussi dans le domaine du sport ou de la politique. »

« Je donne un exemple. Prenons une famille sans lien particulier avec 'l'église institution' au moment d'un enterrement. Au cours de la rencontre, dans ce face-à-face particulier, ces familles endeuillées sont le plus souvent reconnaissantes que nous soyons là, que nous les écoutions. »

P. : Que pensez-vous de ce discours plaintif qui ne cesse de tourner en boucle dans une partie du monde réformé, que l'on peut résumer par 'Tout va mal. C'est la crise. Les églises se vident... '

DF: « J'ai déjà de la peine quand des gens extérieurs aux églises entonnent ce discours, mais encore plus quand ce sont des pasteurs. Ce n'est pas parce que nous ne sommes plus majoritaires que c'est la fin du monde. »

« Si vous pensez à toutes les églises, à tous les cultes, à toutes les activités offertes aux différentes classes d'âge, nous continuons à rassembler une quantité non négligeable de personnes ».

Vivre le changement comme un défi

A Neuchâtel qui connaît objectivement une des situations les plus dures, le climat est paradoxalement plus serein. « Nous vivons ce changement de place dans la société non comme une fatalité, mais comme un défi. »

P: Est- ce que ces discours négatifs ne sont pas plombants pour des gens, qui comme vous, portez l'Eglise chaque jour?

DF: « Ces discours sont fatigants. Mais on arrive pas à les faire changer. Peut-être aussi parce que les réformés sont congénitalement incapables de se vanter de ce qu'ils font ou plus modestement de le mettre en valeur ».

P: Et comment vivez-vous ces tensions permanentes au sein du courant réformé entre les ailes libérale et évangélique?

DF: « Elles font partie de l'identité réformée, même si les tensions sont sans doute exacerbées en tant de crise ». TB