Margot Kässmann: «Pas plus bas que dans la main de Dieu»

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Margot Kässmann: «Pas plus bas que dans la main de Dieu»

Tania Buri
24 février 2012
Margot Kässmann, la protestante la plus connue d'Allemagne, publie pour la première fois un livre en français
Le livre a été vendu à plus d'un demi-million d'exemplaires en Allemagne. Cette femme, ex-cheffe de l'Eglise protestante allemande (EKD) et ex-évêque luthérien, a connu les affres des femmes modernes. Elle se penche dans son livre sur le passage délicat des 50 ans et propose des pistes pour se ressourcer dans la tradition chrétienne.

Février 2010: Margot Kässmann se présente devant la presse, le visage est blême. « Samedi dernier, j’ai commis une faute grave », admet-elle. La nouvelle de sa conduite en état d’ivresse, avec un taux de 1,54 pour mille, et le feu grillé, a déjà fait la une des journaux.

Margot Kässmann annonce sa démission: « Il s’agit de me respecter moi-même et d'être cohérente avec mon comportement. » Elle renonce à toutes ses fonctions dans l’Eglise avec effet immédiat. L’Eglise régionale du Hanovre se trouve subitement privée d’une évêque qui la conduisait depuis dix ans. Et l’Eglise évangélique d’Allemagne (EKD) perd la présidente de son Conseil après seulement 119 jours... Interview par mail.

ProtestInfo: Votre livre, qui paraît aujourd'hui en français chez Labor et Fides, a connu un grand succès en Allemagne dès sa sortie en 2009. Avez-vous compris pourquoi votre livre a eu un tel impact ?

Margot Kässmann: Ce succès m'a surprise. Après le français, le livre va être traduit en coréen. D'après les commentaires que j'ai reçu des lecteurs, il est clair que beaucoup de personnes qui arrivent à la cinquantaine se posent les mêmes questions: ma vie arrive à un tournant, comment est-ce que je veux parcourir cette deuxième partie de mon existence? Quel est mon rapport à l'âge, à la maladie, à la mort, en un mot à la finitude. Et les cinquantenaires connaissent les mêmes événements: les enfants ont grandi, les parents sont vieux, le mariage connaît des tensions. Je suggère des pistes dans mon livre pour appréhender ces événements en s'appuyant sur une perspective chrétienne.

Votre Eglise vous a-t-elle pardonné aujourd'hui ?

Il y avait plus de douleur et de compassion que de condamnation.

Vous êtes docteure en théologie, également auteure d'une trentaine de livres. Pourquoi choisir de publier ce style d'ouvrages ? On pourrait se croire dans une rubrique « féminine »... loin de la haute-voltige de la théologie ?

Ce qui m'intéresse, c'est de lier la théologie à la vie. La Bible parle aussi de la vie des gens et de ce que la foi signifie dans leur vie. Une théologie qui n'a rien à voir avec le monde de tous les jours est trop abstraite pour moi. Les deux derniers semestres, j'ai enseigné à l'Université de Bochum et les élèves ont eu un plaisir évident à comprendre que la pensée théologique ne doit pas rester cantonnée dans sa tour d'ivoire académique, mais qu'elle est pertinente pour aborder les questions sociales.

Ne regrettez-vous pas d'avoir démissionner, après l'incident de l'ivresse au volant, de la tête de l'Eglise évangélique allemande (EKD) et d'avoir quitté votre charge d'évêque?

Je pense que c'était la bonne décision à prendre, même si c'était douloureux. J'ai travaillé comme évêque pendant onze ans et j'y ai mis tout mon cœur et toute mon âme. Certes, une erreur comme celle que j'ai commise peut être pardonnée, même chez les protestants. Mais elle aurait toujours été un fardeau. Vous-même, vous revenez sur cette affaire deux ans après les faits. Si j'étais restée en poste, toutes mes prises de position publique auraient d'une manière ou d'une autre été reliée à ces événements. Cela aurait aussi été un véritable fardeau pour mon Eglise.

Avez-vous aussi voulu vous poser en exemple pour les classes dirigeantes ? Tirer les conséquences de ses actes ?

La vision chrétienne de l'homme le dit: l'homme est imparfait, il peut échouer, mais Dieu lui permet de nouveaux commencements. Néanmoins, tout le monde doit prendre la responsabilité de ses actions.

L'EKD vous a-t-elle pardonné aujourd'hui ?

Il y avait plus de douleur et de compassion que de condamnation...

En 2006, vous êtes atteinte d'un cancer du sein et vous en témoignez publiquement. Vous êtes élue la même année « femme de l'année » par les lecteurs d'un journal TV. Vous sentez-vous la mission de témoigner ?

Je me sens la tâche de montrer clairement que la foi chrétienne est fondamentalement ancrée dans notre époque et qu'elle nous permet de donner un éclairage aux événements que nous vivons. Personne ne doit avoir honte d'un cancer. La question qui se pose est de savoir comment nous pouvons y faire face. Par exemple, beaucoup de gens m'ont écrit que la phrase « Vous ne pouvez pas tomber plus bas que dans la main de Dieu » que j'ai citée dans mon livre leur a donné beaucoup de force dans des situation du même genre.

La presse allemande vous décrit comme « un mélange de Mère Teresa et de Demi Moore », ou encore comme « la conscience de la nation », car vous intervenez souvent dans le débat public. Vos critiques contre une intervention impliquant des soldats allemands en Afghanistan a été largement relayée. Le monde politique allemand n'a guère apprécié. Que pensez-vous de ce portrait que la presse dresse de vous ?

J'en ris plutôt! La critique de la mission en Afghanistan a effectivement provoqué de fortes réactions, simplement parce qu'elle touche un point sensible. C'est la première fois depuis 1945 que des soldats allemands étaient à nouveau impliqués dans un conflit. Si un sermon peut déclencher un débat aussi important et nécessaire, je pense que c'est une bonne chose. Je ne l'avais toutefois pas prévu.

Vous avez été la plus jeune évêque de l'Eglise luthérienne allemande, nommée en 1999, et aussi la première évêque mariée. Vos déboires ont touché le coeur des gens et permis de rapprocher l'Eglise luthérienne des gens ?

J'ai été nommée évêque à l'âge de 41 ans. J'ai été la deuxième femme à occuper ce poste, la première femme mariée, mère, puis divorcée. Cela a touché beaucoup de gens, qui ont suivi mon chemin et qui s'y sont un peu reconnus, je pense. Luther a dit: « que celui qui prêche, regarde les gens sur la bouche (dem Volk aufs Maul schauen) ». Cela signifie comprendre comment les gens pensent, ce qui les touche, les motive. J'ai essayé de lier la foi au quotidien dans mes prédications et de montrer que l'amour de la vie et la joie ne sont pas contradictoires avec la vie d'un homme ou d'une femme chrétienne.

Vous êtes également mère de quatre enfants, adultes aujourd'hui. Mère, accomplie sur le plan professionnel, c'est donc un parcours sans faute jusqu'à la cinquantaine ?

De l'extérieur, mon parcours ressemble probablement à une ligne droite, mais dans la vie de chacun, il y a des hauts et des bas. Et les années où il a fallu mener de front l'éducation des enfants et mon activité professionnelle, ont été incroyablement exigeantes. Aujourd'hui, je ne sais plus comment j'ai résussi à faire tout cela.

Qu'est-ce qui vous a incité à écrire ce livre en particulier (Au milieu de la vie. Quel avenir après 50 ans?) ?

L'idée est venue en discutant avec des amies. Avoir 50 ans n'est pas un anniversaire comme les autres, que cela vous plaise ou non. On ne peut plus ignorer que l'on vieillit. Si vous avez des grands enfants, ils sont sur le point de quitter la maison. Quand j'ai rencontré mon éditrice pour parler de différents projets de livres, elle a trouvé ce sujet excellent.

Vous dites à plusieurs reprises dans votre livre que nous ne pouvons pas tomber plus bas que dans la main de Dieu. L'avez-vous expérimenté ?

Pour moi, la foi en Dieu a été importante dès l'enfance. Et cela l'est toujours à l'âge adulte. Ma famille est venue de Poméranie, aujourd'hui une région située en Pologne. Ma grand-mère s'est installée à l'Ouest après la guerre. Elle a dû tout laisser derrière elle, son mari a été déplacé, mais elle était malgré tout une femme heureuse quand elle chantait dans sa cuisine des chants religieux tels que Befiehl du deine Wege ou bien Wer nur den lieben Gott lässt walten. Les paroles de ces chansons se sont gravées en moi.

Vos valeurs les plus importantes sont celles de Paul, c'est-à-dire la foi, l'espérance et l'amour, avec l'amour en pole position ? Comment transmettez-vous ce message ? Et comment le vivez-vous ?

A notre époque où les valeurs comme l'affirmation de soi, les bénéfices et le cours des actions dominent le jeu, le programme proposé par Paul et le christianisme est un programme alternatif intéressant, me semble-t-il. Lorsque je donne des conférences, je remarque que les gens aspirent à d'autres modes de vie qui ne sont pas imprégnés par les valeur du marché, du capitalisme, et de l'égocentrisme.

Dites-vous la même chose aux hommes et aux femmes ?

Pour les hommes, il est apparemment encore plus difficile d'échapper à toute la pression pour s'arrêter et se poser la question: Qu'est-ce que je veux faire du reste de ma vie?

Vous êtes l'ambassadrice pour les festivités Luther en 2017. Quel est le message central de Luther que vous souhaiteriez faire passer auprès de la population ?

La justification et la liberté! La justification par la foi signifie que rien de ce que je fais ne donne de sens à ma vie, mais que c'est Dieu qui donne du sens. Il s'agit d'un message révolutionnaire dans une société basée sur la performance. Donc, que j'aie un emploi ou non, bien rémunéré ou mal payé, que je sois malade ou en bonne santé, tout cela n'est pas crucial, tout cela ne rend pas ma vie plus ou moins précieuse. Et la liberté signifie que je peux juger des questions touchant à la conscience et à la foi elle-même, je n'ai pas à être soumise aux diktats de la sagesse conventionnelle, ou à quelque dogme que ce soit. L'attitude de Luther devant la Diète de Worms illustre ce propos: « Je suis ici, je ne peux pas faire autrement. Que Dieu m'aide. Amen. »

Quel est le lien entre Luther et les réformés ?

Malheureusement, il n'y a pas eu d'accord entre Luther et Zwingli lors du Colloque de Marburg en 1529 sur la nature de la cène... Je suis impatiente de montrer que la Réforme était un vaste processus, qui ne se résume pas en 2017 qu'à une date symbolique. Et Luther est la personne qui incarne cette réforme. Mais la réforme appartient aussi à Calvin, Zwingli, Bugenhagen, Melanchthon, et bien d'autres. Et le clivage entre luthériens et réformés a heureusement été surmonté depuis 1973 grâce à la Concorde de Leuenberg. Depuis lors, les luthériens et les réformés se reconnaissent en Europe et peuvent célèbrer la cène ensemble.

Sur quels livres travaillez-vous ?

Pour le moment, je pense écrire un livre sur les défis éthiques actuels comme l'euthanasie ou le diagnostic génétique préimplantatoire de telle sorte qu'un homme ou femme chrétienne puisse se faire sa propre opinion à ce sujet. Sensibilisation de la conscience sur la responsabilité sociale. Mais ce livre ne sortira pas avant 2013.

Que peut-on vous souhaiter ?

Peut-être encore une fois quelque chose que Paul nous a transmis: « Soyez joyeux dans l'espérance, patients dans les difficultés, perséverants dans la prière. »

Cet article a été publié dans :

Le numéro de mars de Bonne Nouvelle, le mensuel de l'Eglise évangélique réformée vaudoise.