Le Carnaval déferle sur la Suisse et ailleurs

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Le Carnaval déferle sur la Suisse et ailleurs

Anne-Sylvie Mariéthoz
23 février 2012
Lundi 27 février à 4h s’ouvre à Bâle le plus grand carnaval de Suisse et l’un des plus spectaculaires d’Europe. A l’instar d’autres localités protestantes de Suisse alémanique et du Nord vaudois, la cité rhénane célèbre en grande pompe une fête que la Réforme avait sévèrement condamnée et qui a survécu grâce à l’engouement populaire.
(Légende photo: Carnaval en Hollande, Paradise of Flesh ©Ton L. Nolles)

Les carnavals catholiques sont la plupart terminés depuis mercredi. Ce sont surtout les protestants qui le fêtent depuis jeudi. Ils le font en plein carême. Pour provoquer les catholiques peut-être?

On décrit volontiers le carnaval comme une fête païenne et c’est une idée que l’Eglise, à force d’anathèmes, a certainement contribué à accréditer. Pourtant, son origine ne remonte pas au-delà du Moyen Age et ne peut se comprendre en dehors de la tradition chrétienne. Même si le carnaval n’a jamais été officiellement admis dans le calendrier chrétien, il est clairement lié au carême, la période de quarante jours précédant Pâques, que la liturgie chrétienne non réformée vouait à l’abstinence et à la pénitence.

L’adieu à la viande

Le carnaval anticipe le carême et prend le contrepied de tous ses interdits, notamment en ce qui concerne l’obligation de jeûner. Il est l’ultime moment de débauche avant l’ascèse et cette idée de privation est présente dans le mot même de carnaval (carnem levare, litt. ôter la viande), ainsi que dans le terme allemand de Fas(t)nacht (la nuit du jeûne).

Ces notions paraissent bien désuètes dans notre société laïque et prospère, mais il faut se souvenir qu’en diverses époques et selon les diocèses, le carême était strictement respecté. Durant cette période, les fidèles étaient tenus de « faire maigre », de s’abstenir de mets gras et de nombreux produits d’origine animale, en plus de la viande. Les « jours gras » précédant le carême représentaient donc la dernière occasion de festoyer et de faire bombance.

Jeu, parade et subversion

Cette joyeuse licence est un trait que le carnaval partage avec certaines fêtes célébrées dans l’Antiquité grecque et romaine. Par bien des aspects, il rappelle les rites et réjouissances païennes, notamment les fêtes de fertilité (Lupercales, Matronales), les fêtes hivernales (Saturnales), sans oublier les mystères dionysiaques et leurs folles processions.

Sans être directement issu de ces rites, le carnaval a pourtant repris leur tonalité gaie et leurs accents libertaires. Tout est sens dessus dessous lors de cette fête, où l’on est autorisé à se moquer de tout, notamment du pouvoir en place. Les autorités sont les premières cibles des quolibets lors des traditionnels cortèges de carnaval (ou des brandons vaudois), où il n’est pas rare de voir défiler un roi de parodie, élu pour l’occasion. De nombreuses villes éditent aussi une feuille satirique à cette période, qui commente l’actualité locale avec un humour volontiers féroce.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui?

La raillerie, les jeux espiègles (à grand renforts de confettis et de déguisements), sont des traits communs de nombreux carnavals, qui ont traversé le temps. Vertement critiqué lors de la Réforme côté protestant, systématiquement réprimé suite au Concile de Trente, côté catholique, le carnaval a disparu de la place publique durant longtemps. Mais c’était pour mieux renaître au XXème siècle, en prenant parfois des libertés avec la tradition, notamment en ce qui concerne les dates.

D’aucuns notent que la fête est beaucoup plus policée qu’autrefois et qu’elle a perdu son sens dans notre société de bien-être, « où c’est tous les jours dimanche ». L’aspect alimentaire est passé au second plan et le carnaval est surtout devenu synonyme d’ivresse et de libations abondantes. Les cortèges sont des spectacles bien rôdés, auxquels on assiste paisiblement derrière des barrières, moyennant l’achat d’un billet. Reste que même au cœur du carnaval le plus organisé qui soit - celui de Bâle par exemple, où aucune participation n’est improvisée -, la société se retrouve et se rassemble pour un grand moment de convivialité, accompagnés de rires salutaires.


A VOIR

  • Le cortège du Morgenstraich à Bâle ou ceux des brandons à Payerne, Ste-Croix, Moudon, Yverdon, Grandson. Tous les liens sur www.lascar.ch > membres (Amicale des Carnavals et des Guggenmusiks romandes) ou www.Hefari.ch (Fédération carnavalesque suisse)

A LIRE : Le carnaval, Editions du Cerf, Michel Feuillet, 1991.

A MANGER : les merveilles (fastnachtsküchli, chiacchiere) pâtisserie typique de mardi gras, en diverses régions de Suisse, www.patrimoineculinaire.ch