Gottfried Locher : "Commençons par parler des contenus"

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Gottfried Locher : "Commençons par parler des contenus"

27 février 2012
Gottfried Locher, le théologien et pasteur bernois, a repris les rênes de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) il y a un an. Il défend l'idée d'un synode national. Interview.


Par Martin Lehmann et Rita Jost, l'hebdomadaire reformiert. Berne-Jura-Soleure

Monsieur Locher, comment s’est passée cette première année en tant que président de la Fédération des Eglises?


A vrai dire, j’aurais souhaité une entrée en fonction plus facile.

J’ai dû notamment, à la suite des mesures d’économies prises par l’Assemblée des délégués (le Parlement de la FEPS, Réd.), licencier des gens – ce que je n’avais jamais fait auparavant. Ce ne fut pas une tâche agréable.



Qu’est-ce qui a été agréable?


Beaucoup de choses! J’ai rendu visite à dix parlements d’Eglises cantonales, ce qui a été extraordinairement instructif – et m’a fait en outre grand plaisir. Ces visites m’ont appris de manière très directe à quel point les Eglises réformées sont diverses. A Stans par exemple, dans le demi-canton de Nidwald à majorité catholique, où l’Eglise réformée cantonale se compose de quatre paroisses seulement, la situation des réformés est tout autre que dans le canton de Berne: dans un cas, ils constituent une petite minorité, dans l’autre, une majorité incontestée. Mais j’ai voulu avant tout faire passer un message dans mes visites, à savoir qu’on a besoin de la Fédération des Eglises, qu’on soit une petite ou une grande Eglise. 



Et pourquoi a-t-on besoin de la Fédération?


Pour nous arracher toutes et tous au repli sur nous-mêmes. Pour que nous apprenions des autres ce qu’être réformé peut encore signifier. Pour que nous constations concrètement combien l’Eglise est belle aussi en dehors de notre propre petit jardin. Prenons encore une fois Stans: l’Eglise réformée de Nidwald a décidé que les ... du baptême ne devraient plus obligatoirement appartenir à une confession chrétienne.

Est-ce acceptable? Nidwald pense que oui. D’autres pensent que non. J’estime pour ma part qu’aucun décision de ce genre ne doit être prise sans discussion avec les Eglises sœurs. La contradiction est toujours bénéfique, et ensemble nous réfléchissons mieux.

Mais justement, l’organisation démocratique de l’Eglise et la multiplicité qui en résulte sont inhérentes à la perspective réformée.


La multiplicité est un fait. Ce dont nous ne voulons pas, c’est l’arbitraire.

J’en ai déjà donné un exemple. En voici un autre: qui conduit une paroisse? Est-ce le pasteur? Le conseil de paroisse? Les deux ensemble? Mon Eglise de Berne est précisément en train d’introduire un modèle de direction paroissiale qui n’existe dans aucune des Eglises réformées que je connais – dans le monde entier. Est-ce bon ou mauvais? Ce qui est bon, c’est d’oser quelque chose de nouveau. Ce qui serait mauvais, ce serait de ne pas écouter les autres sur ce point. La Fédération des Eglises doit devenir un lieu où nous réfléchissons ensemble en direction de l’avenir.



Une sorte de «think tank» donc? Comment vous représentez-vous cela?


Je me représente par exemple un synode protestant national de plusieurs jours, fondé sur le dialogue. Toutes et tous doivent venir assumer leur part de responsabilité – de la société pastorale à l’association des organistes, de la présidente du Conseil synodal au catéchète. Il doit s’agir de sujets fondamentaux, de questions de vie et de foi. Nous devons réapprendre à travailler ensemble à l’essentiel – loin des affaires quotidiennes dont l’emprise est si forte sur nous!



Vos efforts pour éclaircir les contenus sont sensibles dans tous les domaines: l’un des objectifs de législature de la Fédération des Eglises est l’élaboration d’un « livre de la foi protestante » qui doit esquisser des « positions protestantes sur les aspects fondamentaux de la foi ». Qu’avez-vous précisément en vue?


Un « livre du trésor ». Notre foi est un trésor avec lequel on peut bien vivre, et peut-être aussi un jour bien mourir. Mais ce trésor est couvert de poussière. Beaucoup ne savent plus vraiment de quoi il a l’air. Certes, nous discutons ferme pour savoir si nous avons besoin ou non d’une confession de foi. Mais, étrangement, ce qui doit figurer dans cette confession de foi demeure secondaire.

Cessons d’avoir les yeux fixés sur les statistiques du nombre de membres comme un lapin qui fixe un serpent.

Je vois cela en sens inverse: commençons par parler des contenus. Que voulons-nous dire exactement quand nous affirmons, à Pâques, que Jésus est ressuscité des morts? Pouvons-nous encore croire cela? Si oui, de manière littérale ou plutôt métaphorique? De quoi est-ce que je parle quand je dis: je crois en Dieu? En un Dieu trinitaire, en un Dieu personnel, en une force créatrice diffuse? Notre livre de la foi doit proposer des réponses. 



Un catéchisme protestant en quelque sorte.

Oui et non. Non, si on entend par là un manuel d’enseignement impératif. La Fédération des Eglises n’est pas habilitée à cela. Oui, au sens où nous voulons créer quelque chose qui décrive, explique et illustre notre foi. La racine grecque du mot « catéchisme » contient les deux éléments: enseigner et raconter. De nos jours, on pourrait peut-être dire: préparer à la participation ceux qui ont faim de nourriture spirituelle. 



Affûter le profil réformé pour lutter contre la diminution des effectifs?


Plutôt préciser le sens de la foi pour lutter contre l’illisibilité. On est et on reste membre de l’Eglise seulement si on la comprend et qu’on a confiance en elle. J’aimerais que mon Eglise réussisse dans cette entreprise. Le but de la proclamation n’est pas d’affirmer la grandeur et la force – pas plus d’ailleurs que la petitesse et la faiblesse.

Cessons d’avoir les yeux fixés sur les statistiques de membres comme un lapin qui fixe un serpent. Si nous proclamons et illustrons concrètement un Evangile vivant, les gens viendront d’eux-mêmes écouter et participer. Chaque Eglise peut faire cela, une grande Eglise comme la bernoise, une petite comme la bâloise. La seconde est devenue, certes, sensiblement plus petite, mais aussi plus profilée …



… ou, selon les interprétations, toujours plus « libre » aussi. Trouvez-vous que ce soit un modèle à suivre?


Je ne porte pas de jugement de valeur. L’Eglise bâloise est l’Eglise bâloise, l’Eglise bernoise est l’Eglise bernoise. Dans l’une comme dans l’autre, on doit mener les mêmes réflexions: sommes-nous crédibles en paroles et en actes? Sans doute les réponses ne sont-elles pas partout les mêmes. Je dis simplement que l’effectif des membres d’une Eglise n’est pas déterminant. Ce qui est déterminant, c’est la mesure dans laquelle on croit ce que nous disons. 



Justement, en 2011, la Fédération des Eglises a dit une fois quelque chose à propos d’une question politique actuelle, à savoir l’initiative « pour la protection face à la violence des armes». Pour le reste, elle a appelé avant tout à la prière: pour Fukushima, pour les coptes en Afrique du Nord, pour les chrétiens en Turquie. Sous votre direction, le credo de la FEPS est-il désormais: recueillement plutôt que protestation?


L’un peut-il exister sans l’autre? La protestation sans recueillement a un goût de névrose politique dans le style ecclésiastique. Le recueillement sans protestation conduit à la fuite hors du monde et au refus des responsabilités. Me croyez-vous capable de me limiter à l’un ou à l’autre? Il me semble que, l’année dernière, j’ai pris clairement position, dans la revue «reformiert.», à propos de la responsabilité politique de l’Eglise. Je suis toujours d’avis, il est vrai, que l’Eglise ne doit parler que si elle peut développer sa position en référence à l’Evangile. Ce qui nous ramène au livre de la foi et à la question: que croyons-nous fondamentalement?



Dans les objectifs de législature de la FEPS, on lit aussi que «la Fédération des Eglises intervient et fait entendre la voix protestante sur des sujets de préoccupation actuels de la population.» Pourquoi alors ne s’est-elle pas exprimée à propos de la crise financière et économique qui menace les places de travail? Ou à propos de la situation d’urgence en matière d’asile?


Peut-être avez-vous raison. Chacun a des «taches aveugles», moi en tout cas. Par bonheur, six autres femmes et hommes engagés siègent à mes côtés au Conseil de la Fédération des Eglises. Et des penseurs et penseuses profilés, autonomes, sont à l’œuvre dans notre Secrétariat. Cela garantit une vision plus complète que seulement la mienne. Mais cela signifie aussi qu’il y a plus d’une opinion sur la question de savoir où il serait le plus urgent d’exprimer la voix protestante précisément maintenant.



En conclusion, Monsieur Locher, quatre mots clés: la Maison des religions?


Ce serait magnifique qu’elle réussisse à renforcer la paix religieuse, assurément bien plus fragile que beaucoup l’imaginent.



Le printemps arabe?


Il ne fleurira pas si vite, malheureusement. La situation est inquiétante aussi pour les chrétiens dans ces pays. C’est pourquoi la Fédération des Eglises agit de deux manières: représentations auprès des ambassadeurs et appels à la prière – protestation et recueillement, nous y revenons…



Les médias sociaux?


J’ai effacé mon profil Facebook peu après l’avoir installé – d’une manière ou d’une autre, je n’arrive pas à comprendre clairement que soudain tant de gens se disent mes «amis». Dans la vie réelle, je n’ai qu’une poignée d’amis, à qui déjà je ne rends pas suffisamment justice. Au moins dans l’envoi de SMS, je suis presque aussi rapide que mes enfants. Mais mon «média social» préféré demeure une bouteille de vin partagée à deux.



Votre livre de chevet?


«A Christmas Carol» (Un chant de Noël) de Charles Dickens. Les poèmes de Hilde Domin. Et une collection de citations de Nietzsche – un génie.

BIO ET INFOS

Gottfried Locher, 45 ans,
a accédé à la présidence de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) au début de 2011, succédant à Thomas Wipf. Pasteur et docteur en théologie, il a dirigé le Département des relations extérieures de la FEPS (2001-2005), puis l’Institut d’études œcuméniques de l’Université de Fribourg (2006-2010). De 2008 à 2010, il a été en outre conseiller synodal des Eglises réformées Berne-Jura-Soleure. Marié et père de trois enfants, Gottfried Locher vit à Berne.

Fédération des Eglises protestantes


La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), fondée en 1920, est l’organisation faîtière des Eglises protestantes de Suisse. Elle réunit 24 Eglises réformées cantonales, l’Eglise évangélique méthodiste (EEM) et l’Eglise évangélique libre de Genève. Ainsi, la FEPS représente environ 2.4 millions de protestantes et protestants (selon le recensement fédéral de 2000). La Fédération est dirigée par un Conseil (organe exécutif) de sept membres, présidé par Gottfried Locher depuis le début de 2011; l’Assemblée des délégués, réunissant les délégué(e)s des Eglises membres, constitue l’organe législatif. Le Secrétariat de la FEPS à Berne occupe plus d’une trentaine de personnes. Le budget s’élève à environ 5.8 millions de francs suisses. (FN)