Guy Gilbert, le prêtre des «loubards », en visite en Suisse

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Guy Gilbert, le prêtre des «loubards », en visite en Suisse

Céline Latscha
20 mars 2012
Depuis plus de 40 ans, Guy Gilbert, prêtre atypique, a troqué son aube contre un blouson noir et des santiags. Invité à Bienne, puis à Neuchâtel et à la Chaux-de-Fonds, il fera le voyage le 23 mars prochain pour notamment venir y rencontrer jeunes et détenus et leur faire part de son expérience en milieu marginal. Il leur parlera surtout de sa quête quotidienne, qui consiste à sortir les jeunes de la rue et de la détresse. Rencontre.

ProtestInfo: Guy Gilbert, avez-vous l’impression que la situation en Suisse est fort différente de celle vécue en France?


Guy Gilbert: J’ai l’impression pour ma part que ce qui se passe en Suisse est plus «soft» qu’en France. Chez nous, dans les banlieues, on assiste à une véritable guerre des gangs, et personne n’hésite à abattre un camarade pour pouvoir dealer sur son terrain.

Le shit et la marijuana ont envahis les quartiers pauvres, ce sont des drogues quotidiennes, au même titre que l’alcool et le tabac. Ce qui m’inquiète davantage, c’est la propagation des drogues dures, et tout ce qu’elles entraînent dans leur sillon: dépendance, misère et au bout du compte, le plus souvent, mort par overdose…

Quoi qu’il en soit, que ce soit en Suisse, en Belgique, ou en France, le problème de la drogue est un véritable désastre. Mais j’ai l’impression qu’ici, c’est davantage une maladie de «riches», de jeunes désœuvrés en quête d’identité et de sens, et qui sont avant tout désorientés et paumés.

Vous pensez donc que les Suisses sont malades de leur richesse?

Je n’irais pas jusqu’à affirmer cela, mais lorsqu’on doit se battre pour survivre, on s’inquiète moins de son mal-être. Et ce que je constate en venant chez vous, c’est qu’une bonne partie de la population va mal et souffre de dépression.

En même temps, c’est normal, tout le monde est pris dans un tel tourbillon au sein de notre société. Pour être, il faut avoir, posséder, et cette quête insatiable de l’opulence rend forcément malheureux, on est toujours insatisfait, en manque, en attente de davantage.

Quel message entendez-vous apporter lors des conférences que vous donnerez à Bienne et à la Chaux-de-Fonds?

Je n’entends pas forcément apporter un message, ce qui compte pour moi c’est l’échange, avoir l’occasion de partager avec ceux que ça intéresse mon expérience personnelle avec les jeunes délinquants, les marginaux. J’aimerais également évoquer l’expérience qu’est celle de la «Bergerie du Faucon», lieu d’accueil et de réinsertion que j’ai ouvert avec d’autres éducateurs en 1974.

Qu’est-ce exactement que la «Bergerie du Faucon» ?

C’est un lieu d’accueil et de réinsertion que j’ai ouvert loin de Paris. J’ai acheté une ruine il y a bientôt 40 ans après que de jeunes loubards aient émis le désir de sortir de la ville pour fuir les endroits qui les poussaient à la délinquance. Au fil du temps, ce ne sont pas moins de 250 soi-disant irrécupérables qui ont œuvré sur place pour restaurer les lieux et en faire un lieu de vie et d’accueil.

Le travail à la Bergerie du Faucon est basé sur la zoothérapie, une vie simple et naturelle avec les animaux, que les jeunes apprennent à respecter et à soigner. C’est impressionnant de constater à quel point le contact avec l’animal est thérapeutique pour celui qui a perdu tout repère. Très vite, le lien se crée, et le jeune se sent «responsable».

Le fait de vivre en communauté, entouré d’éducateurs adultes qui gèrent la structure, permet également de retrouver un certain équilibre. La vie y est stricte mais fraternelle. Ici, les mots d’ordre sont «partage, amitié, développement personnel, sens communautaire».

Cela fait plus de 40 ans que vous arpentez les banlieues, que vous vous rendez auprès des plus démunis… A 76 ans, ne ressentez-vous pas le besoin d’enfin poser vos bagages, de prendre votre retraite?

On ne se lasse jamais de tendre la main, d’aider l’autre. Actuellement, on manque tous un peu de repères, de valeurs auxquelles s’accrocher. C’est donc important de toujours s’engager, un véritable engagement de vérité. Il s’agit également de cohérence, de convergence entre sa foi et ses valeurs.

Quand je vois un être déchu, cassé, disloqué par la vie, je ne peux m’empêcher de m’arrêter pour lui parler. Il faut lui tendre une perche, qu’il ait quelque chose à quoi s’accrocher, se raccrocher. Comment voulez-vous aimer quand on ne vous a jamais appris l’amour inconditionnel, universel?

L’amour serait donc le remède universel?

La puissance d’amour d’un être est capable de tout vaincre, d’affronter tous les obstacles. L’amour gratuit, inconditionnel, a cette faculté de convaincre au-delà des mots. Car l’amour est magique. Et dans mon travail quotidien, je ne fais pas qu’en parler, j’en fais démonstration. Je montre de l’amour, j’en manifeste aux êtres qui m’entourent. C’est ainsi qu’ils trouvent la force de se relever, d’avancer.

Vous n’êtes jamais découragé?

Non, j’y crois toujours, et continuerai à y croire quoi qu’il arrive. Même si ce ne sont que de petites gouttes dans un immense océan, c’est ce qui me donne la force de continuer, de m’engager complètement, corps et âme. Si un seul de ces jeunes reprend goût à la vie, qu’il y trouve du sens, le pari est gagné.

Ce que j’entends partager et dire à tous lors de mon voyage en Suisse, c’est que les jeunes sont des combattants, qu’ils ont le pouvoir de construire tout ce qu’ils désirent. Il suffit pour cela de se lancer, d’y croire, et d’aimer profondément ce que l’on fait.
Les jeunes d’hier sont-ils les mêmes que ceux d’aujourd’hui?

Oui, je crois. Les jeunes ont en tout temps eu besoin de valeurs fortes, précises. Si je peux partager les miennes avec eux en leur apportant mon témoignage, c’est déjà une belle victoire. Car les jeunes sont des «magnétophones extraordinaires», ils enregistrent toutes les informations qu’on leur donne.

Il suffit maintenant de leur apprendre à faire le tri. Ils savent écouter. Reste à les aider à choisir. D’ailleurs, beaucoup de jeunes cultivent des valeurs fortes et s’engagent, notamment en se rendant dans le Tiers monde, pour y apporter leur aide. Il suffit donc d’y croire, de croire en eux, et en l’avenir.

Guy Gilbert à Bienne et Neuchâtel

  • Guy Gilbert sera à Bienne du 23 au 25 mars 2012, où il a été invité par l’Association Rue à cœur (www.rueacoeur.ch). Il y donnera deux conférences publiques et dira une messe. Le vendredi 23 mars, à 20h, à l’Eglise évangélique des Ecluses, il s’adressera plutôt aux jeunes, tandis que le samedi 24, sa conférence à 20h à la Maison Calvin est tout public. Dimanche 25, il célébrera au matin la messe à l’église Christ-Roi. Il ira également, entre deux manifestations, à la rencontre des marginaux biennois dans les rues.

  • Il se rendra ensuite en terre neuchâteloise, où il a été invité par l'aumônerie œcuménique des prisons du canton du 30 mars au 1er avril. Il y rendra visite aux détenus. Aucune manifestation publique n’y est prévue.